Le wabi-sabi en philosophie japonaise : définition. Quel est le sens spirituel et esthétique du wabi-sabi ? Quel lien avec le bouddhisme et le taoïsme ?
Wabi-sabi est une expression japonaise pour laquelle il n’existe pas de traduction simple ni de définition facile. Les Japonais eux-mêmes ont du mal à décrire ce concept qui touche à la fois à la philosophie, à la spiritualité et à l’esthétique.
Le wabi-sabi s’inspire du bouddhisme zen (une des branches du bouddhisme japonais) et du taoïsme. Il se fonde sur l’acceptation de l’impermanence des choses et sur la recherche d’une vie équilibrée et sereine, centrée sur l’essentiel.
Même si le concept apparaît dès le IXème siècle, les mots wabi et sabi se trouvent associés à partir du XVème siècle dans la littérature japonaise pour décrire la beauté des choses imparfaites, impermanentes, incomplètes ou altérées.
Tentons de donner une définition du wabi-sabi dans la philosophie japonaise.
Le wabi-sabi en philosophie japonaise : définition.
L’expression wabi-sabi associe deux mots :
- wabi signifie « solitude ». Cette solitude n’est pas un désespoir mais un mode de vie proche de la Nature, loin du monde, simple et quelque peu mélancolique,
- sabi traduit le fait qu’une chose se flétrit, s’altère, se rouille, se décrépit… En ce sens, sabi est l’acceptation de l’impermanence des choses. C’est aussi le goût des choses vieillissantes, patinées, oxydées, ébréchées, abîmées, mais pleines de charme, de souvenirs et de saveurs.
Tentons la définition suivante du wabi-sabi : Le wabi-sabi est une philosophie de vie fondée sur une simplicité rustique et humble, ainsi que sur l’acceptation de l’imperfection et de l’impermanence des choses.
Le wabi-sabi s’inscrit dans une forme de paradoxe :
- la joie se trouve dans la mélancolie,
- l’espérance naît de la désolation,
- la beauté se fonde sur la décrépitude,
- la sérénité émerge de l’imperfection.
Il y a derrière ces paradoxes l’idée que le positif se fonde sur le négatif : c’est peut-être la clé du bonheur stable, qui rappelle l’ataraxie des philosophes de la Grèce antique.
Par ailleurs, le wabi-sabi s’accompagne de modestie : c’est la voie de la sagesse.
Exemples de wabi-sabi.
Voici quelques exemples de wabi-sabi :
- les karesansui ou jardins minéraux (« jardins zens ») : minimalistes, ils reproduisent le charme authentique de la Nature. Ils renvoient aussi à la solitude de ceux qui les entretiennent et qui doivent sans cesse recommencer leur travail,
- le travail des bonsaï : poétique, il se base sur la patience, la tranquillité et la contemplation de la Nature,
- la cérémonie du thé : tradition japonaise de première importance, la cérémonie du thé se fait avec des objets rudimentaires ou imparfaits (vieilles cuillères en bois, bols ébréchés), au sein d’une pièce sobre, sans mobilier. Le thé se sert avec des gestes simples et dépouillés,
- le kintsugi : c’est une célèbre méthode japonaise de réparation des bols au moyen d’une laque à base d’or. Cette méthode permet de mettre en valeur et d’admirer les imperfections des objets en céramique. Sur le plan personnel, le kintsugi pourrait être vu comme l’art de réparer ses propres blessures…
Tous ces exemples ouvrent la voie d’un bonheur fondé sur la sérénité et la contemplation.
Les sources de la philosophie du wabi-sabi : bouddhisme et taoïsme.
Le wabi-sabi puise ses fondements aussi bien dans le bouddhisme que le taoïsme.
Il est à noter que le bouddhisme chinois est fortement teinté de taoïsme ; c’est le cas en particulier du bouddhisme chán qui a donné naissance au bouddhisme zen (japonais).
Wabi-sabi et bouddhisme.
Le wabi-sabi emprunte au bouddhisme les notions suivantes :
- l’impermanence : tout change, tout disparaît ou se recompose sans cesse,
- la vacuité ou l’absence de soi : aucun objet, aucun être n’existe « en soi », rien n’est éternel,
- le non-attachement : conséquence de ce qui précède, c’est la clé d’un bonheur stable,
- la méditation : c’est la pratique qui consiste à vider son mental des choses superflues.
Notons que le bouddhisme zen insiste sur l’importance de vivre dans le présent, ici et maintenant, sans espoir ni crainte.
Le bouddhisme zen se fonde en outre sur le zazen (forme de méditation assise) et sur les koan, formules paradoxales destinées à être méditées : le méditant doit renoncer à sa vision habituelle des choses pour accéder au réel.
Le wabi-sabi et la philosophie taoïste.
Philosophie chinoise fondée par Lao-Tseu au VIème siècle avant J-C, le taoïsme met l’accent sur l’harmonie, l’équilibre des forces, le non-agir, la calme mental, la proximité avec la Nature et la simplicité. Les points communs avec le wabi-sabi sont évidents.
Wabi-sabi et taoïsme insistent sur l’acceptation du cours des choses. Il s’agit de « se tenir au centre », de voir la réalité telle qu’elle est, au-delà des illusions causées par notre ego.
Cet état d’esprit conduit à voir la beauté là où elle se cache, ce qui conduit à une forme de plénitude.
Notons que le taoïsme recourt lui-aussi aux paradoxes, par exemple :
Si tu veux être entier,
laisse-toi être partiel.
Si tu veux être droit,
laisse-toi être tordu.
Si tu veux être plein,
laisse-toi être vide.
Si tu veux renaître,
laisse-toi mourir.
(…) Le Maître, parce qu’il n’a aucun but,
réussit tout ce qu’il fait.
Tao Te King, 22
Le taoïsme comme le wabi-sabi s’affranchissent de la dualité beau – laid : c’est l’art de la perfection imparfaite.
Un nouveau rapport à la beauté.
Au sens occidental, la beauté est éclat, majesté et perfection. A l’inverse, la beauté du wabi-sabi est terne, humble et imparfaite.
L’approche orientale de la beauté prend en compte le temps qui passe, ce qui nécessite une bonne dose d’humilité de la part de celui qui observe ou qui crée.
D’autre part, la beauté orientale ne s’attache pas aux apparences. Elle nécessite une recherche active de la beauté qui se cache au fond ce qui semble laid ou insignifiant. De plus, elle prend en compte la dynamique de l’évolution des choses.
Il s’agit donc de voir la beauté dans toute chose, même si cette chose est usée, décrépie ou abîmée. Il faudra donc faire l’effort d’abandonner ses préjugés et de renverser les fausses évidences. Car la beauté est partout : à nous de nous convertir à elle.
Parallèle avec le mono no aware.
Le wabi-sabi rappelle le mono no aware, autre concept esthétique et spirituel japonais qui peut être décrit comme la beauté de l’éphémère, ou la conscience de ce qui est voué à disparaître. C’est un état d’esprit qui se fonde sur la description sobre des choses et sur la contemplation.
Au final, le wabi-sabi prône le retour à une sobriété simple et paisible fondée sur le goût des choses imparfaites, éphémères et modestes. Le wabi-sabi nous permet de reprendre contact avec l’essentiel, de trouver notre équilibre dans le monde en renonçant à la quête illusoire de la perfection et de la performance.
Pour aller plus loin sur la philosophie du wabi-sabi :
- Wabi Sabi – L’art d’accepter l’imperfection, de Tomas Navarro. Un exposé profond de cette philosophie de vie qui nous réconcilie avec nos imperfections.
- Wabi-Sabi, de Leonard Koren. Architecte et penseur de l’esthétique, Leonard Koren a longtemps étudié le concept de wabi-sabi et en a tiré cet ouvrage à destination des artistes, designers, poètes et philosophes.
- Le Tao Te King, de Lao-tseu, traduit par Stephen Mitchell. Le Tao Te King est un joyau de l’humanité, un texte qui accompagne le cherchant durant toute sa vie.
A noter aussi Beautiful Imperfection, deuxième album de la chanteuse et compositrice franco-nigériane Asa, sur le thème de l’imperfection.
Modif. le 8 mai 2023