Le symbolisme des échecs : qu’évoquent l’échiquier et les différentes pièces qui composent le jeu ? Quel est le sens caché du jeu d’échecs ?
Né dans l’Inde du Nord au 5ème siècle de notre ère, le jeu d’échecs arrive en Europe occidentale aux environs de l’an mille, en passant par le monde arabe, l’Espagne musulmane et l’Italie.
Les chrétiens repensent entièrement le jeu, le déplacement des pièces et les règles. Ces changements se font progressivement, du 11ème au 15ème siècle.
Il faut attendre le début de l’époque moderne pour que le jeu prenne définitivement le caractère que nous lui connaissons.
Jeu des jeux, espace à caractère sacré, les échecs sont une métaphore de notre condition en même temps que le miroir du monde.
L’échiquier est le terrain de la vie et nous allons voir que chaque pièce représente une dimension de notre individualité.
Entrons dans le symbolisme des échecs.
Voir aussi les règles du jeu d’échecs.
Le symbolisme des échecs : l’échiquier.
Le plateau du jeu d’échecs recèle un symbolisme riche, qui tient en premier lieu aux couleurs des cases et à leur nombre.
La dualité.
Les cases blanches et noires évoquent la dualité : l’alternance de deux énergies de force égale.
La dualité représente le caractère double de la création, symbolisé par le yin et le yang :
- homme – femme,
- positif – négatif,
- impair – pair,
- soleil – lune,
- été – hiver,
- chaud – froid,
- feu – eau,
- jour – nuit,
- etc.
Mais cette dualité n’est pas un dualisme : il ne s’agit pas de dire qu’une couleur est bonne et l’autre mauvaise, mais bien que les deux couleurs ne peuvent se définir ni exister l’une sans l’autre.
En effet, comment pourrait-on distinguer la lumière sans l’obscurité, ou imaginer le positif sans le négatif ? Chaque couple d’opposés forme un tout indissociable : la dualité sous-tend l’unité.
L’échiquier dépasse donc le bien et le mal, ce qui tend à montrer que ces notions n’existent que dans notre esprit. L’art de la guerre consiste à respecter son adversaire, à le considérer comme son égal.
La dualité est indissociable de la justice : le blanc et le noir s’équilibrent comme les deux plateaux de la balance. La règle du jeu est la même pour les 2 joueurs. Les blancs jouent le premier coup de la partie, mais le joueur qui joue les blancs jouera les noirs lors de la partie suivante.
D’autre part, la dualité pose la question du rapport à l’autre (l’altérité) et véhicule les valeurs associées, telles le respect et l’égalité (voir plus bas).
Enfin, la dualité s’exprime aussi par la présence, dans chaque camp, de deux fous, deux tours, deux cavaliers, mais chacun posé sur une couleur différente. Seuls les fous sont attachés à leur couleur, décrivant des V noirs et des V blancs, dont l’alliance évoque le graphisme et le symbolisme du Sceau de Salomon (assemblage de deux triangles de sens opposé).
Le symbolisme des échecs à travers les chiffres et les nombres.
Les échecs révèlent l’immense pouvoir des nombres qui s’exprime à travers l’infinité des coups possibles. Les joueurs naviguent dans cet océan mathématique (image raisonnable de la Nature) et doivent trouver leur route.
La construction du jeu d’échecs respecte la suite logique 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, qui décrit la parfaite décomposition duale du Principe premier :
- 1 jeu d’échecs,
- 2 couleurs, ou 2 joueurs,
- 4 rangées couvertes de pièces, ou 4 côtés du plateau (à noter que le chiffre 4 symbolise les quatre directions cardinales ou encore les 4 éléments),
- 8 rangées de cases,
- 16 pièces par joueur,
- 32 pièces au total,
- 64 cases en tout (64 est le chiffre de la réalisation de l’unité cosmique).
Cette suite géométrique éclaire bien le symbolisme des échecs : nous sommes dans le monde de l’espace et de la matière déployée, dans toute sa perfection et son équilibre. Nous sommes dans le domaine de la géométrie et de la raison.
Les échecs sont donc à l’image du cosmos : l’univers ordonné selon le plan de Dieu. C’est la concrétisation de la volonté divine dans le sensible, le visible, l’intelligible.
Quant à Dieu, il réside peut-être dans les lignes et les points invisibles qui séparent les cases…
La symbolique des échecs en franc-maçonnerie.
Dans une perspective ésotérique, l’échiquier rappelle le pavé mosaïque présent au centre des loges maçonniques : c’est le plan du terrestre, le miroir de la voûte céleste.
En franc-maçonnerie, le damier peut aussi rappeler les pierres cubiques qui s’associent pour former un édifice stable. Les carrés s’assemblent pour constituer d’autres carrés, plus grands, comme pour montrer que les différents microcosmes limités s’intègrent dans le macrocosme illimité et éternel.
D’autre part, en tant que jeu royal mobilisant les plus hautes valeurs, les échecs rappellent l’idéal de sagesse du roi Salomon. Les échecs invitent à maîtriser ses passions et à mieux se connaître. Le souverain éclairé est celui qui gouverne avec patience et lucidité, il est d’abord le souverain de lui-même.
Le jeu d’échecs peut symboliser le royaume idéal, ou le temple idéal : sa perfection matérielle donne accès aux mystères célestes. Il est une voie d’accès à la Connaissance.
Toujours sur le plan céleste, la Dame peut représenter la lune : elle est toujours posée sur sa couleur, comme un miroir d’elle-même. Quant au roi, il peut représenter le soleil : le fait qu’il soit posé sur une case de couleur différente de la sienne fait penser à l’alternance jour-nuit.
Enfin, le déplacement des pièces en angle droit ou en équerre (cavalier) rappelle à l’évidence la symbolique maçonnique.
Autres parallèles (symbolisme ésotérique).
Les 64 cases du jeu d’échecs peuvent renvoyer aux 32 chemins de sagesse de l’Arbre de vie séphirotique : 32 qui montent et 32 qui descendent.
Elles évoquent aussi les 64 hexagrammes du Yi Jing (ou Classique des changements, texte chinois célèbre).
Les pièces et leur symbolisme.
Le jeu d’échecs est un microcosme à l’image de la société médiévale, où trônent le roi et la reine, deux forces complémentaires qui traduisent l’ordre et le mouvement. Chaque pièce trouve sa place dans la société et le monde.
Sur le plan ontologique, on peut analyser les pièces de la façon suivante :
- Le roi, personnage central, symbolise l’esprit et son unité : il se déplace d’une seule case. Il est immortel.
- La reine représente l’âme changeante : elle vagabonde dans toutes les directions. Elle est mortelle.
- Le fou (plus proche conseiller du roi) représente l’intellect. Il est associé à une seule couleur : il est pris dans son raisonnement, qui est certes cohérent mais insuffisant.
- Le cavalier peut sauter les obstacles. Il représente la fougue, les passions et le coeur. Son déplacement est irrationnel.
- La tour peut représenter le corps physique : elle est en pierre. Sur le terrain, la tour est puissante puisqu’elle « quadrille » la matière.
- Le pion ne peut aller que vers l’avant : il est la force active, la vie à l’état brut, sans conscience réflexive.
Ainsi donc, les différentes pièces peuvent être vues comme autant de composantes de l’homme : esprit, âme, corps, intellect et coeur.
Les valeurs symboliques du jeu d’échecs.
Longtemps réservé à la noblesse, le jeu d’échecs véhicule des valeurs chevaleresques. La guerre est codifiée par la règle du jeu : elle devient abstraite, spéculative. Jouer aux échecs revient à pratiquer un « art royal ».
Jouer aux échecs nécessite :
- savoir-faire militaire,
- stratégie plutôt que force,
- rigueur,
- projection,
- intelligence,
- maîtrise de soi,
- persévérance,
- ou encore patience.
Jouer aux échecs, c’est être dans l’action, sur Terre, dans la matière et le temps. Le rythme binaire de la partie évoque l’enchaînement causal des événements. Les échecs expriment le changement, l’impermanence, les cycles, la mort et la renaissance.
Enfin, les échecs sont une métaphore des rapports amoureux : il faut faire preuve de persévérance et de maîtrise pour conquérir la femme aimée. Au Moyen-Age, les échecs sont vus comme l’affrontement symbolique des amants sur le terrain de la séduction.
Pour aller plus loin :
- La symbolique des échecs, de Pierre Carnac. Une référence sur le sujet.
- Le jeu d’échec médiéval, de Michel Pastoureau. Une puissante analyse du jeu d’échecs et de son évolution sur plusieurs siècles.
Modif. le 3 octobre 2021