Comment la taoïsme aborde-t-il la souffrance ? Quelle est la nature de la souffrance dans le Tao Te King ? Comment aller vers la guérison et le bien-être au quotidien ?
Le Tao est la voie de la vertu, donc celle de la guérison de la souffrance.
La souffrance est une notion moins présente dans le taoïsme que dans le bouddhisme, et moins bien définie, mais le Tao Te King (texte fondateur du taoïsme) y fait allusion à de nombreuses reprises.
Il décrit surtout une voie de guérison qui consiste à se tenir au centre. Il s’agit de renoncer à ses désirs et à ses illusions pour accéder au calme et à la sérénité : la voie de l’immortalité.
Lire aussi notre article : La souffrance dans le bouddhisme.
La souffrance dans le taoïsme.
Tout comme le bouddhisme, le taoïsme sous-entend que la souffrance est consubstantielle du bonheur. Etre heureux c’est aussi être malheureux, car le bonheur ne peut exister sans le malheur. De même, on ne peut voir le bien que si l’on voit le mal.
Lorsque les gens voient certaines choses comme belles,
d’autres deviennent laides.
Lorsque les gens voient certaines choses comme bonnes,
d’autres deviennent mauvaises.
Tao Te King, 2
Les opposés sont donc inséparables et complémentaires : ils se nourrissent l’un l’autre, à l’image du yin et du yang.
Sur le plan intellectuel et sémantique, la souffrance est donc indissociable du bonheur : pour être heureux, il faut être (ou avoir été) malheureux. Ce cycle infernal est destructeur.
Les comportements qui mènent à la souffrance.
Le Tao Te King décrit les comportements qui mènent à la souffrance, à savoir :
- désirer le succès, car cela fait craindre l’échec,
- espérer, car cela conduit ou fait craindre la désillusion,
- se préoccuper de soi, car cela mène à la peur de souffrir ou de mourir,
- attendre des autres, car cela provoque le risque et la peur d’être insatisfait,
- courir après l’argent, car cela conduit à éprouver le manque,
- vouloir se défendre, car cela fait craindre sa propre perte,
- tenter de contrôler le futur, car cela est illusoire,
- etc.
Le succès est aussi dangereux que l’échec.
L’espoir est aussi vain que la peur.
(…) Espoir et peur sont des fantômes
qui naissent de la préoccupation de soi.
Tao Te King, 13
Si tu attends des autres ton épanouissement,
tu ne seras jamais véritablement comblé.
Si ton bonheur dépend de l’argent,
tu ne seras jamais heureux avec toi-même.
Tao Te King, 44
Il n’y a pas de plus grande illusion que la peur,
pas de plus grande erreur que de se préparer à se défendre,
pas de plus grande infortune que de croire avoir un ennemi.
Tao Te King, 46
Tenter de contrôler le futur est comme tenter de prendre la place du maître charpentier.
Quand tu manies les outils du maître charpentier,
il y a de fortes chances que tu te coupes la main.
Tao Te King, 74
D’autre part, le mental (flux de pensée ininterrompu) est aussi un obstacle à la sérénité :
Arrête de penser, finis-en avec tes problèmes.
Tao Te King, 20
La souffrance dans le taoïsme est due au changement permanent.
La notion de changement permanent, très présente dans le bouddhisme à travers l’impermanence, est tout aussi fondamentale dans le taoïsme.
Savoir que tout change sans cesse amène à comprendre qu’il est vain de vouloir contrôler, diriger ou posséder les choses.
Si tu comprends que tout change,
il n’est rien auquel tu tenteras de t’attacher.
Tao Te King, 74
Par ailleurs, le taoïsme décrit précisément la Voie qui mène à l’extinction de toute souffrance.
La voie du taoïsme : l’extinction de la souffrance.
Dans la vision taoïste, être heureux ne consiste pas à rechercher le bonheur mais au contraire à accepter les choses telles qu’elles sont, à les aimer pour ce qu’elles sont :
Fais confiance à la vie telle qu’elle est.
Aime le monde comme toi-même.
Tao Te King, 13
Ceci implique en outre de renoncer à ses jugements et ses a priori :
Si tu fermes ton esprit par des jugements
et te livres à tes désirs,
ton coeur sera troublé.
Si tu apprends à ne pas juger
et n’es pas mené par tes sens,
ton coeur trouvera la paix.
Tao Te King, 52
Au quotidien, il s’agit aussi de lâcher-prise, de renoncer à tout désir et toute ambition personnelle :
Le Maître ne cherche pas l’accomplissement.
Ne cherchant rien, n’attendant rien,
il est présent et peut accueillir toutes choses.
Tao Te King, 15
Quand il n’y a pas de désir,
toutes choses sont en paix.
Tao Te King, 37
Sois content de ce que tu as ;
réjouis-toi de la réalité telle qu’elle est.
Quand tu comprends que rien ne manque,
le monde entier t’appartient.
Tao Te King, 44
Qui peut voir au-delà de toute peur
est toujours en sécurité.
Tao Te King, 46
Paradoxalement, le bonheur (entendu comme paix intérieure, sérénité) consiste à embrasser les problèmes et les difficultés :
Le Maître ne court jamais après le grand ;
ainsi atteint-il la grandeur.
Quand il rencontre une difficulté,
il s’arrête et il s’y consacre.
Il ne s’accroche pas à son propre confort ;
ainsi les problèmes ne sont pas un problème pour lui.
Tao Te King, 63
Enfin, c’est la compréhension de ce qu’est le tao (le principe, la source, la voie) qui permet d’accéder au bonheur éternel :
Si tu ne prends pas conscience de la source,
tu t’enfonces dans la confusion et la tristesse.
(…) Immergé dans la merveille du Tao,
tu peux accueillir tout ce que la vie t’apporte,
et quand vient la mort, tu es prêt.
Tao Te King, 16
La voie de l’immortalité.
Dans le taoïsme, la voie de l’immortalité est une voie intérieure : c’est le renoncement. C’est le lâcher-prise et le non-agir, qui consiste non pas à ne rien faire, mais à placer son action dans l’ordre des choses, dans l’énergie du tao.
Si tu veux renaître,
laisse-toi mourir.
Si tu veux que tout te soit offert,
renonce à tout ce que tu as.
Tao Te King, 22
Si tu comprends que tu as suffisamment,
tu es vraiment riche.
Si tu restes au centre et acceptes la mort de tout ton coeur,
tu vivras toujours.
Tao Te King, 33
Cette vision est très proche de celle du Nouveau Testament, notamment lorsque Jésus décrit le Royaume de Dieu.
Conclusion.
Dans le taoïsme comme dans le bouddhisme, la souffrance est ignorance, attachement et haine (ces trois termes correspondent aux Trois Poisons du bouddhisme).
C’est au contraire la compréhension, l’acceptation, l’ouverture et l’amour qui permettent d’accéder au bonheur et à la vie éternelle. Le sage est celui qui se laisse traverser par les choses : il se regarde vivre, sans se juger ni juger les autres.
Le Maître se donne
à tout ce que l’instant apporte.
Il sait qu’il va mourir,
et rien ne lui reste à quoi s’agripper :
pas d’illusions dans l’esprit,
pas de résistances dans le corps.
Il ne réfléchit pas à ses actions ;
elles jaillissent de la profondeur de son être.
Il ne refuse rien de la vie ;
ainsi est-il prêt pour la mort.
Tao Te King, 50
Lire aussi : Le taoïsme : définition et principes fondamentaux.
Pour aller plus loin.
Le canon taoïste se compose de trois textes fondamentaux :
- Le Tao Te King, de Lao-tseu, traduit par Stephen Mitchell. Le Tao Te King est un joyau de l’humanité, un texte qui accompagne le cherchant durant toute sa vie. Cette traduction, moderne, accessible et poétique, et sans doute la meilleure.
- Les Oeuvres de Maître Tchouang, de Tchouang-tseu, traduit par Jean Levi. Une magnifique traduction qui rend hommage à la beauté du texte original, sans se perdre dans les lourdeurs rébarbatives.
- Le traité du Vide Parfait, de Lie Tseu, traduit par Jean-Jacques Lafitte.
Modif. le 29 août 2021