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« Salomon, si sage, si vertueux, devint sourd à la voix de l’Éternel »

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« Salomon, si sage, si vertueux, devint sourd à la voix de l’Éternel » : comment interpréter ce revirement de Salomon au 14ème degré REAA ? Pourquoi Salomon sombre-t-il dans l’idolâtrie ? Quelles en sont les conséquences ?

De nombreux passages de l’Ancien Testament décrivent la sagesse du roi Salomon, héritier en cela de son père David (lire notre article sur la sagesse de Salomon).

De même, dans les précédents degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté, Salomon est l’archétype de la sagesse : il fait preuve de tempérance, de Justice et de persévérance. Il calme la colère d’Hiram de Tyr. Il guide, nomme et initie les ouvriers. Il donne les instructions pour permettre l’avancée du chantier malgré les épreuves. Il prend les dispositions pour prévenir les conflits et la discorde. Il récompense et pardonne. Au final, il représente la grâce autant que la droiture et la probité.

Pourtant, au quatorzième degré, Salomon se laisse aller au vice :

LE GRAND ORATEUR
Salomon, si sage, si vertueux, devint sourd à la voix de l’Éternel. Fier de se savoir le plus grand roi de la terre, fier d’avoir bâti un Temple qui faisait l’admiration de l’univers, il oublia la bonté de Dieu et se laissa aller à la licence. Il offrit aux idoles l’encens qui aurait dû être brûlé dans le Temple.

Etant parvenu à achever et consacrer le Temple, Salomon devient fier et orgueilleux. Il se détourne de Dieu, préférant le culte des idoles.

A l’évidence, nous assistons au retour des mauvais compagnons :

  • l’ignorance est l’oubli de Dieu et la méconnaissance des lois cosmiques,
  • le fanatisme renvoie à l’idolâtrie,
  • l’ambition évoque la « licence » au sens de la liberté sans limite, synonyme de dérèglement moral.

La décadence de Salomon est qualifiée de « crime » dans le rituel (« ces crimes déchirèrent le cœur des Grands Élus, Parfaits et Sublimes Maçons »). Mais comment Salomon a-t-il pu en arriver là ?

Tentons de voir pourquoi « Salomon, si sage, si vertueux, devint sourd à la voix de l’Éternel ».

Voir aussi notre liste de planches au 14ème degré

Avant l’épisode tragique du quatorzième degré, Salomon est l’archétype de l’homme sage. Cette sagesse vient du fait qu’il se soumet à Dieu et oeuvre tout entier pour lui. La construction du Temple de Jérusalem est le symbole absolu de cette allégeance au Grand Architecte de l’Univers.

Pour Salomon, la sagesse consiste à laisser entrer Dieu dans le coeur de l’édifice, c’est-à-dire dans son propre coeur, ce qui constitue un recentrage par rapport au décentrage que constituait le péché originel d’Adam et Eve.

Or, l’édifice consacré, le contact avec Dieu enfin établi, Salomon fait preuve de relâchement. Il semble considérer la sagesse pour acquise et dès lors se permet toute liberté. Il se comporte comme s’il avait enfermé Dieu dans son propre Temple.

Cette « chute » est due au fait que Salomon pense être arrivé au bout du chemin. Or tout franc-maçon doit se souvenir que le travail n’est jamais terminé. Tout relâchement, tout laisser-aller, toute faiblesse sonnerait le retour des mauvaises habitudes, des préjugés et des illusions.

Ainsi, Salomon se prend pour Dieu, oubliant qu’il n’est qu’un homme. Il contrevient aux sentences énoncées au quatrième degré, fondatrices de la démarche spirituelle, notamment les suivantes :

  • Ne profanez pas le mot de Vérité en l’accordant aux conceptions humaines. La Vérité absolue est inaccessible à l’esprit humain ; il s’en approche sans cesse, mais ne l’atteint jamais.
  • Quelque admiration que vous inspire le spectacle de l’Univers, du macrocosme au microcosme, souvenez-vous que vous ne l’admirez qu’en proportion de votre faiblesse en présence de son immensité.

Dans le Premier Livre des Rois (chapitre 11), Salomon, proche de la vieillesse, est décrit comme soumis aux caprices de ses concubines étrangères qui lui imposent leurs dieux. Pour leur plaire, le roi fait construire des lieux sacrés où l’on vénère des idoles.

De manière générale, l’idolâtrie est la pratique qui consiste à vouer un culte à un objet (une image, une symbole, un animal…) plutôt qu’au dieu qu’il est censé représenter. L’idolâtrie est à relier au paganisme, à la superstition et au fanatisme. Telle que décrite dans les monothéismes, elle rassemble toutes les passions humaines : plaisir, jouissance, paresse, orgueil, ignorance… Le Veau d’or en est l’exemple typique : c’est le culte auxquels les Hébreux se livrent alors que Moïse gravit la montagne.

Pratiquer l’idolâtrie, c’est donc s’éloigner de Dieu en lui substituant des éléments qui relèvent non pas de l’esprit, mais de la matière.

L’idolâtrie contrevient directement aux sentences rencontrées au quatrième degré, en particulier les suivantes :

  • Vous ne vous forgerez point d’idoles humaines pour agir aveuglément sous leur impulsion, mais vous déciderez par vous-mêmes de vos opinions et de vos actions.
  • Vous ne prendrez pas les mots pour des idées et vous vous efforcerez toujours de découvrir l’idée sous le symbole.
  • Vous n’accepterez aucune idée que vous ne compreniez et ne jugiez vraie.

Ainsi, l’idolâtrie est le signe d’une confusion de l’esprit. La conscience se ferme, le lien entre Dieu et l’homme est rompu. L’individu se fige dans ses certitudes : il ne réfléchit plus au mystère divin, ne tente plus de connaître ce qui le dépasse, ne s’ouvre plus au monde, ne progresse plus. Se plaçant sous la protection des idoles, pensant détenir la vérité, il s’en éloigne constamment.

La décadence de Salomon peut sembler étonnante voire décevante, tant sa figure nous a guidée tout au long de notre cheminement maçonnique.

Pourtant, considérer Salomon comme parfait aurait conduit à sombrer nous-mêmes dans l’idolâtrie. Précisément, la franc-maçonnerie ne s’attache à aucune figure tutélaire, à aucun dogme. Elle ne vénère aucun prophète, aucun dieu révélé. Le franc-maçon ne rend donc de culte ni à Salomon, ni à Hiram-Abi, pas même au Grand Architecte de l’Univers, qui n’est qu’un symbole sous lequel il faut chercher l’idée.

Ainsi, la décadence de Salomon est la preuve que ce dernier, bien qu’illustre Initié, n’en reste pas moins un homme. La première qualité du franc-maçon est peut-être de savoir reconnaître ses propres défauts.

LE RESPECTABLE FRÈRE SECOND GRAND SURVEILLANT
Devant les crimes de Salomon, Dieu inspira à Nabuchodonosor, roi de Babylone, d’assiéger Jérusalem et de la détruire. Ce roi plaça le royaume de Juda sous le commandement de son général, Nabusardan, qui rasa les murs et la cité et détruisit même les fondations du Temple.
Il emmena les habitants en captivité à Babylone, emportant avec eux toutes les richesses du Temple. Cet événement se produisit quatre cent soixante-dix ans, six mois et dix jours après la dédicace du Temple.

Rituel d’initiation au 14ème degré

La décadence de Salomon conduit à l’affaiblissement de son Royaume et donc à sa conquête par ses ennemis. Jérusalem est pillée et le Temple est rasé. S’ouvre alors une période de désordre, de violence et de privation de liberté. Les ténèbres se réinstallent, ce qui peut faire penser à bien d’autres évènements historiques, plus ou moins proches de nous.

Cette phase de régression évoque le déclin de la lumière après le solstice d’été. Jean le Baptiste s’efface pour laisser grandir une lumière nouvelle, intérieure, cachée, qui reparaîtra au grand jour sous une autre forme.

De même, Salomon doit s’effacer pour laisser grandir une énergie nouvelle, porteuse d’espérance

La décadence de Salomon annonce la fin d’un cycle : Salomon contrevient aux plus fondamentales des règles énoncées au quatrième degré. Mais le souvenir de sa sagesse demeure, et son enseignement a bien été transmis.

Ainsi, la franc-maçonnerie est une tradition qui se perpétue sans gourou, sans guide, sans idole. Tous les modèles, tous les exemples ont vocation à être dépassés. Les ouvriers se lèvent et se remplacent inlassablement sur le chantier, reprenant le flambeau laissé par d’autres, tentant de faire mieux qu’eux.

Le quatorzième degré est le temps du bilan. En nous retournant sur notre parcours, nous réalisons que c’est par l’épreuve que nous avons pu progresser. C’est bien le doute, la perte, le deuil, l’adversité qui nous ont amenés à nous dépasser. Le Temple étant achevé et consacré, grand était alors le risque de retomber dans le sommeil de l’âme…

Au final, de la même manière qu’il fallait voir dans la perte d’Hiram une chance, il faut voir dans la destruction du Temple une nouvelle opportunité, qui appellera sans doute de nouvelles découvertes et de nouvelles victoires. Salomon nous a aidé par son exemplarité, il nous aide aussi par ses failles et ses erreurs qui ont l’avantage de nous rappeler à chaque instant nos propres faiblesses.

Pour aller plus loin :

Les essentiels des 13ème et 14ème degrés

Ce livre numérique pdf (75 pages) comporte 20 planches relatives aux 13ème et 14ème degrés.

Décryptez les notions essentielles, de la Voûte sacrée à la dispersion des Grands Elus, en passant par le voyage de Guibulum, le souvenir d’Enoch, la décadence de Salomon ou le sacrifice de Galaad…

Modif. le 13 octobre 2024

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