Rick Grimes dans The Walking Dead : l’instinct de survie est-il plus fort que la morale ? Voici une analyse philosophique et psychologique de cette série.
Dans l’univers dévasté de la série The Walking Dead, où les morts errent sans but et où les vivants luttent pour chaque instant de répit, Rick Grimes se dresse en figure tragique, tiraillée entre son humanité et l’impératif cruel de survie.
Au fur et à mesure que l’apocalypse progresse, Rick, ancien shérif empreint de morale et de loi, se retrouve confronté à des dilemmes éthiques qui révèlent la fragilité des principes qui régissent nos vies civilisées.
Cet article propose d’explorer les questions philosophiques essentielles qui émergent de l’évolution de Rick Grimes : notre instinct de survie est-il plus fort que notre morale ? La survie et la morale sont-elles compatibles ? Comment rester civilisé dans un monde où la mort a pris le dessus ? La loi de la jungle est-elle inévitable ? Et surtout, la morale a-t-elle encore un sens dans un tel monde ?
Cet article a pour but d’analyser les rapports entre notre survie et morale, et de porter une critique sur les comportements les plus vils et infâme de l’homme, mais les plus naturels également, enfouis au plus profond de lui-même et pourtant toujours prêts à surgir lorsque sa survie est en jeu.
En d’autres termes, nous allons étudier d’un point de vue philosophique le rapport entre la survie et la morale dans l’univers de The Walking Dead à travers le personnage de Rick Grimes.
L’instinct de survie contre la morale : le combat intérieur de Rick Grimes dans The Walking Dead
Dès le début de son périple, Rick Grimes se veut le gardien d’une certaine éthique. En tant que shérif, il incarne la loi et l’ordre, symboles d’une société révolue. Mais dans ce nouveau monde, ces valeurs sont sans cesse remises en question par la nécessité de survivre.
La première grande épreuve de Rick Grimes intervient lorsqu’il doit tuer Shane, son ancien partenaire et meilleur ami, pour protéger sa propre vie et celle de son fils. Cet acte, bien qu’il soit un geste de survie, marque un tournant moral pour Rick. Il n’est plus seulement un homme de loi ; il devient un survivant prêt à tout, même à transgresser ses propres valeurs pour assurer la protection des siens.
Cette lutte entre survie et morale se manifeste à maintes reprises. Rick Grimes, qui répugne initialement à prendre des vies humaines, se transforme peu à peu en un leader impitoyable. Cependant, chaque décision extrême qu’il prend est empreinte d’une douleur intérieure, révélant que l’instinct de survie n’efface pas entièrement la conscience morale. Les remords qui hantent Rick montrent que la morale, bien qu’affaiblie, n’est jamais totalement éteinte ; elle est plutôt réinterprétée et ajustée aux nouvelles réalités brutales.
L’endurcissement de Rick Grimes: pour survivre, il semble falloir faire abstraction de la morale
Shane, qui est le meilleur ami de Rick, est un peu son côté obscur qui lui dit de survivre coûte que coûte, pour lui c’est donc « chacun pour soi ».
Au départ, Rick Grimes est comme il l’était avant l’apocalypse, il tend la main à ceux qui en ont besoin, il se donne beaucoup de mal afin de faire le bien, va même aider des personnes alors que rien ne l’y oblige, tel Merle sur un toit (première saison).
Shane lui conseille cependant de ne penser qu’à sa survie et celle de sa famille, de ne tendre la main à personne et de prendre des risques uniquement pour ses proches, cette vision un peu noire et manquant cruellement de compassion ou d’empathie semblera pourtant être affirmée comme la bonne dans la suite de la série, nous confirmant que dans un monde comme celui-ci, il ne faut pas compter sur autrui mais uniquement sur soi-même.
Rick, tu ne peux pas juste être le bon gars et t’attendre à vivre. D’accord ? Plus maintenant.
Shane Walsh à Rick Grimes
Rick fera en effet quelques bonnes rencontres en chemin, mais la grande majorité des gens qu’il rencontrera seront mal intentionnés, chercheront à le tuer, lui faisant perdre foi en l’humain petit à petit : Le Gouverneur, le Terminus, les Wolves… qui lui rappelleront que « l’homme est un loup pour l’homme » (Hobbes).
Son camarade Shane lui rappellent perpétuellement qu’il doit s’endurcir, l’incitant à tout faire même transcender toute morale pour se protéger lui et les siens.
Rick Grimes n’est pas d’accord avec Shane là-dessus dans un premier temps, mais il rejoindra son point de vue au fil de son évolution ; il a encore beaucoup d’espoir en l’être humain contrairement à son ami, peut-être aussi parce que Shane était déjà dans cet univers immonde alors que Rick était dans le coma, il a moins vu les atrocités dont étaient capables les humains (notamment l’armée), par exemple raser des villes entières au napalm sans se préoccuper des civils, fusiller des innocents dans des hôpitaux…
Mais Rick Grimes n’est tout de même pas inconscient du monde dans lequel il vit, il n’est pas complètement naïf, c’est un personnage nuancé dès le départ, et c’est ce qui fait son intérêt :
C’est pour ça que j’ai besoin de toi, tu peux plus te conduire comme un gamin, j’aurais aimé que tu aies l’enfance que j’ai eu mais c’est pas possible. Les gens que tu connais vont mourir, moi je vais mourir, ta mère aussi, et on est jamais prêt pour ce genre d’épreuve, même moi j’ai jamais réussi à l’être.
Rick Grimes à son fils Carl
Le basculement : la bestialité prend le dessus sur la morale. Le retour à l’état de nature
Plusieurs événements vont faire que Rick Grimes va s’endurcir malgré lui, à commencer par la mort de son acolyte Shane qui ne mourra jamais vraiment pour Rick, n’oubliant jamais sa philosophie dure mais lucide sur le monde dans lequel ils vivent. Shane lui laissera donc un véritable héritage. La mort de sa femme Lori, due à un inconnu qu’il a laissé en vie, ne fera que le conforter dans cette idée.
Le philosophe Thomas Hobbes décrit un état de nature où la vie est « solitary, poor, nasty, brutish, and short » (solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève). Dans cet état, l’instinct de survie est primordial et les hommes sont en guerre constante les uns avec les autres. Selon Hobbes, les lois morales n’existent que dans une société structurée par un contrat social. The Walking Dead peut être vu comme un retour à cet état de nature, où la survie l’emporte souvent sur les considérations morales.
J’essaie de repousser le moment où ils se demanderont si la vie d’une petite fille a moins d’importance que la leur.
Carol Peletier à Rick Grimes
Dans le dernier épisode la quatrième saison, on voit un Rick Grimes réellement transformé, pris en otage par des assaillants dont un voulant violer son fils ; il arrachera littéralement la jugulaire de l’un d’eux avec ses dents, finissant le visage couvert de sang à la manière d’un prédateur après avoir dévoré sa proie.
Le côté animal a donc pris le dessus, on pourrait y voir un retour à l’état de nature pour Rick Grimes, le même dont parle Hobbes, poussé à son niveau le plus extrême. Ainsi, pour protéger son fils à tout prix, Rick s’est laissé guidé par son instinct et a délaissé toute forme de morale, du moins sur le moment, c’est son instinct de survie qui l’a emporté.
Eviter la loi de la jungle à travers la morale, la rédemption et le pardon
Cependant, des personnages semblent pouvoir faire preuve de morale, comme Morgan qui considère que désormais que la vie est rare, que chaque vie est précieuse et donc qu’il faut préserver chacune d’elle, car tout le monde peut changer un jour ; il prône le vivre-ensemble.
C’est pourtant un personnage qui a beaucoup souffert comme Rick Grimes, a vu sa propre femme mourir et se transformer en mort-vivant pour à son tour tuer son propre fils. Ainsi, ce personnage nous donne de l’espoir, et nous rappelle que la rédemption est toujours possible, que notre morale peut l’emporter sur notre instinct de survie même si c’est le chemin le plus difficile, celui du pardon, celui qui consiste à toujours laisser sa chance à l’autre.
Morgan dira d’ailleurs à Rick qu’il sait qu’il est bon au fond, et qu’il ne doit pas laisser les durs événements de la vie noircir son cœur : la survie oui mais pas à n’importe quel prix. Pour Morgan, la fin ne justifie pas les moyens.
Cela rappelle les valeurs du christianisme, une religion dans laquelle le pardon et la rédemption sont des éléments centraux. Le pardon est l’acte par lequel Dieu absout les péchés, réconciliant l’homme avec Lui. La rédemption, rendue possible par la mort et la résurrection de Jésus-Christ, libère l’humanité du péché, offrant une nouvelle vie en Christ. Ces concepts expriment la grâce divine et la transformation intérieure. Le christianisme étant d’ailleurs omniprésent dans la série, notamment à travers le personnage du prêtre Gabriel.
La morale dans le monde sans foi ni loi de The Walking Dead : un concept caduc ?
La question la plus fondamentale que pose The Walking Dead à travers Rick Grimes est celle de la pertinence de la morale dans un monde dénué de foi, de loi et de sécurité.
Peut-on encore parler de moralité lorsque chaque jour est une lutte pour sa survie ? La réponse, si elle existe, est complexe et nuancée. Rick Grimes montre que la morale n’est pas une simple question de règles ou de codes ; c’est une tension constante entre ce que l’on doit faire pour survivre et ce que l’on ressent devoir faire pour rester humain.
Dans ce monde en ruines, la morale n’est plus une boussole fixe, mais une ligne de conduite adaptable, évoluant au gré des circonstances. Rick Grimes, à travers ses choix et ses sacrifices, montre que la morale persiste non pas comme une obligation, mais comme une lutte. Une lutte pour se rappeler que, malgré la violence et la désolation, il reste encore une étincelle d’humanité à préserver.
Le nihilisme, selon Friedrich Nietzsche, est la croyance que la vie n’a pas de sens intrinsèque, et que les valeurs morales, souvent considérées comme universelles, sont en réalité des constructions humaines dépourvues de fondement objectif. Nietzsche voyait le nihilisme comme une crise de la civilisation occidentale, résultant de la « mort de Dieu », c’est-à-dire du déclin de la foi religieuse qui donnait autrefois un sens et une direction à la vie.
Le lien entre le nihilisme de Nietzsche et la morale dans la série The Walking Dead réside dans la nécessité pour les personnages de redéfinir ce qui est « bien » ou « mal » dans un monde où les normes morales traditionnelles ont perdu leur sens.
Tout comme Nietzsche, qui encourageait la « transvaluation des valeurs », les personnages de The Walking Dead doivent inventer de nouvelles règles pour naviguer dans un monde dénué de justice, de loi, ou de sens préétabli : un véritable bouleversement axiologique.
Rick Grimes dans The Walking Dead : conclusion
Rick Grimes est une figure emblématique de la condition humaine dans l’adversité ultime. Il incarne les contradictions et les tensions entre l’instinct de survie et la morale, entre la civilisation et la barbarie.
The Walking Dead nous invite à réfléchir à ce que signifie être humain dans un monde où la vie est constamment menacée, où la mort est omniprésente, un monde où la morale doit être réinventée jour après jour. En fin de compte, le personnage de Rick Grimes nous rappelle que même dans le plus laid des mondes, l’humanité n’est pas totalement perdue tant que l’on continue à se poser ces questions.
Cet article a été rédigé par Grégoire Lasnon
Modif. le 8 août 2024