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Rite Ecossais Ancien et Accepté : sources et influences

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Rite Ecossais Ancien et Accepté : quelles sont les sources et influences du R.E.A.A. ? Quelle tradition a le plus influencé ce Rite ?

Le R.E.A.A. a une vocation universelle ; il est le rite le plus pratiqué dans le monde. Formé à partir de la fin du XVIIème siècle, il repose sur quelques grands piliers de la culture occidentale :

  • le judaïsme,
  • le christianisme,
  • la philosophie, notamment la sagesse grecque et le rationalisme des Lumières,
  • le compagnonnage opératif,
  • et certains ésotérismes, dont l’alchimie spirituelle.

Parmi les différentes démarches spirituelles, le R.E.A.A. possède une spécificité de méthode, et encore doit-on nuancer car la méthode de stimulation des réponses par les questions-réponses de l’instruction est-elle largement inspirée de la maïeutique de Socrate, qui doute et qui interroge ceux qui croient savoir.

Le R.E.A.A. n’a en tous cas pas de spécificité de fond : il emprunte à diverses sources spirituelles, religieuses ou culturelles. C’est un syncrétisme (autrement dit, un patchwork), aucune de ces sources n’étant spécifiquement « maçonnique ».

Cette synthèse, unique en son genre, n’est pas dogmatique en raison du filtre du symbolisme et de la raison. Par exemple, la construction du premier temple de Salomon ne peut être que symbolique puisque son existence n’est pas avérée, et l’initiation fait explicitement référence à la méthode rationnelle. Mais il n’est pas possible de pratiquer une spiritualité ouverte sans supports de réflexion, sans points d’appui.

Abordons les principales sources et influences du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Le processus d’initiation emprunte à la philosophie grecque, reliée à la spiritualité, puisqu’elle est étymologiquement l’ « amour de la sagesse ». C’est grâce à la philosophie que nous pouvons commencer à nous élever, faute de pouvoir le faire encore sur le terrain de la Connaissance.

Faire son testament philosophique, c’est réfléchir sur les grands thèmes philosophiques, notamment la mort et le devoir, à la quête de spiritualité. De même, le V.M. donne au néophyte le programme de l’initiation en termes philosophiques.

Un certain stoïcisme (freiner ses passions, pratiquer l’ascèse initiatique…) prépare un terreau moral à la pratique du juste milieu, la mediocritas aurea, la mesure dorée qui, depuis Aristote, est la recherche de la troisième voie entre deux pôles extrêmes : le V.M. nous dit que la sagesse c’est « donner à son âme ce juste équilibre qui constitue l’Art de la vie ».

Il faut donc en permanence prendre conscience des pôles (le vice et la vertu) dans le blanc et le noir du pavé mosaïque et pratiquer le « entre » (« entre » les colonnes).

La méthode consiste à dévoiler les « mystères » de la franc-maçonnerie, non pas au sens religieux mais au sens des cérémonies d’initiations antiques, notamment les Mystères d’Eleusis.

Passer par la porte basse est une évocation de la porte des hommes et de la porte des dieux, des petits et des grands mystères, chemin qui promet la réalisation d’un idéal spirituel inscrit au fronton du temple de Delphes : « et tu connaîtras l’Univers et les Dieux ».

Promesse toujours actuelle même si le cosmos est une représentation scientifiquement dépassée de l’Univers.

Ordo ab chao : le chaos est infini ; il est réputé désordonné car il contient ce qu’on ne connaît pas. Le cosmos est son complément : il contient tout ce qu’il a été possible de faire venir du chaos à la compréhension de l’homme, au logos, moyennant une explication, une loi, née de l’observation.

D’où les références dans le temple à la voûte étoilée, à l’étoile polaire, et à l’axis mundi, le fil à plomb supposé relier ce qui est en haut et ce qui est en bas. Nous sommes invités à penser le Principe organisateur, le Dieu mathématicien et géomètre de Pythagore et d’Aristote, que le premier voyage affirme au travers de l’impossibilité de transgresser les lois qui régissent le cosmos.

Nous sommes donc initiés aux mystères des nombres avant ceux des lettres, ce qui implique que ce sont les degrés suivants qui nous mettront en possession des moyens de la Connaissance.

« Travailler sans relâche à son perfectionnement intellectuel et moral », repris dans l’instruction comme programme de la franc-maçonnerie pour l’humanité tout entière, est, dans l’ingénuité de la philosophie grecque, un perfectionnement intellectuel et moral. Celui qui sait davantage a nécessairement avoir à cœur de faire mieux. Lorsque la conscience sera déverrouillée, on ne sera plus excusable de ne pas mettre ses actes en rapport avec ce qu’on prétend connaître.

Pour nous aider à satisfaire à l’injonction « préférer à toutes choses la Justice et la Vérité », la philosophie grecque fait tenir ensemble tous nos grands inconnaissables, les idéaux que sont le Vrai, le Bien, le Juste, le Beau qu’on trouve chez Platon, et qui sont des attributs du Principe : ce qui est faux (Vérité), ce qui n’est pas à sa place (Justice) ne peut être beau.

Les proportions du temple sont parfaites parce que nous les lions au nombre d’or. Selon cette référence, la Beauté, qui est d’ordre principiel, ne peut pas simplement « orner », référence empruntée par ailleurs aux ornements du temple de Salomon.

Le rituel d’initiation donne la parole à l’Orateur pour citer, intégralement et dans le texte, la déclaration de principes du Convent de Lausanne de 1875 présentée comme ce à quoi nous nous engageons spécifiquement au R.E.A.A. en réglant un point de détail : Dieu.

Ce court texte, qui fait partie des sources essentielles du R.E.A.A., est l’aboutissement d’une évolution de l’idée de Dieu, sous le coup de l’évolution de la société et des mentalités.

Les premiers franc-maçons du XVIIIème siècle étaient tolérants, en réaction aux guerres de religions, mais théistes, c’est-à-dire tous chrétiens, ou au moins croyant dans le Dieu révélé des Ecritures.

A la même époque, les philosophes des Lumières avaient déjà fourni une synthèse abstraite, le déisme : l’idée de Dieu décrite par des philosophes précurseurs, le dieu-horloger de Voltaire, le Principe Originel d’Ordre de Hume, et le Grand Architecte de Kant, qui suppose, comme au premier degré, de cultiver la morale universelle.

Au regard de nos propres principes, ces philosophes étaient en quelque sorte « en avance » sur nous, et c’est ce déisme philosophique qui constitue la mise à jour des principes du R.E.A.A. dans la déclaration de principes sous la forme du G.A.D.L.U., symbole garantissant à tous les spiritualistes, y compris aux athées, la liberté de conscience. A la même époque, le G.O.D.F. abolit la référence à « la croyance en dieu et à l’immortalité de l’âme » pour affirmer directement la liberté absolue de conscience des frères, sans passer par la case intermédiaire du symbole du G.A.D.L.U.

Le R.E.A.A. n’est donc pas vide de l’idée de Dieu, ne serait-ce que parce que le Convent de Lausanne a supprimé la référence à une « Force supérieure » mais conservé celle de « Principe créateur », ce qui a pu conduire à la réapparition de la Bible à la place de la règle dans les Trois grandes Lumières à partir de 1953.

Appartenant à la famille des ésotérismes, la franc-maçonnerie affirme que la Vérité ne peut être approchée que par l’intérieur de soi-même. Il faut donc être initié pour entrer.

Techniquement, l’emprunt à la tradition chrétienne conduirait à ne retenir que l’épreuve de l’eau, symbolisation du baptême, et l’épreuve du feu, puisque Jésus a dit : « nul ne peut accéder au royaume de Dieu s’il n’est pas né d’eau et d’esprit ».

Or, nous sommes initiés par quatre épreuves qui font référence à l’alchimie, dont l’emprunt agit comme une laïcisation du R.E.A.A. permettant d’écarter la référence chrétienne, trop proche d’une religion encore pratiquée.

On subit victorieusement l’épreuve de la Terre en étant confronté dans le cabinet de réflexion aux éléments alchimiques de l’œuvre au noir, celle de la décomposition préalable.

L’œuvre au blanc, celle du lessivage, et l’œuvre au jaune, celle de la sublimation, sont les stades de la transformation proprement dite par des phases successives de purification, résultant du passage victorieux des épreuves de l’air et de l’eau.

L’œuvre au rouge, la dernière du Grand oeuvre, l’épreuve du feu, jette un pont dans l’avenir (« puisse le feu se transformer dans votre cœur en un amour ardent ») : la Connaissance sert une finalité qui est l’Amour, ce qui vient renverser la perspective profane. Contrairement aux sciences dures qui ont pris le pouvoir intellectuel à partir de la Renaissance et disqualifié l’alchimie, cette dernière rend possible le processus intime de la transformation intérieure.

Le sacrifice évoqué par l’initiation (« jusqu’à la dernière goutte de votre sang »), c’est-à-dire la fabrication de sacré par des renonciations, est le même processus de transformation que celui qui consiste à faire évoluer la matière vers sa forme la plus pure, la plus lumineuse (« l’or »), par un processus unique de vie-mort-renaissance accompagné de phases de purification ou de remise en ordre des éléments.

Continuons notre analyse des sources et influences du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Dès notre initiation, nous sommes plongés dans la culture juive plus que dans la tradition chrétienne.

La tradition chrétienne paraît en effet, au premier degré, très secondaire. Elle consiste principalement en une référence à Saint Jean. Les deux Jean rythment l’année maçonnique : les solstices coïncident avec la saint Jean d’hiver, qui donne lieu à notre banquet d’ordre rituel, et avec la saint Jean d’été, qui donne lieu à une tenue rituelle particulière. En réalité, nous pratiquons là un rite solaire plutôt que chrétien…

La loge est dite « loge de Saint Jean ». Saint Jean, « le disciple que Jésus aimait » est le saint patron de tous ceux qui se rattachent aux œuvres de l’esprit ; il complète Saint Pierre, l’homme au grand cœur, le pécheur d’hommes, à qui Jésus a confié l’Eglise exotérique, devenue celle du milliard de fidèles.

Notre chemin est à découvrir entre ces deux voies qui nous sont tracées : le théologien (pour nous-mêmes) et le pasteur (pour les autres). Le Volume de la loi sacrée n’est ouvert au prologue de l’Evangile de Jean, où il question du Verbe et de la Lumière, que depuis quelques décennies, en lieu et place du premier livre des Rois ou des Chroniques antérieurement, où il est question de la construction du temple de Salomon.

En loge symbolique, nous sommes avant tout imprégnés de l’état d’esprit du judaïsme. L’élection et l’alliance sont des thèmes juifs. La Torah primitive, avant que les Grecs ne la comprennent comme une loi, est un enseignement dont l’étude trace un chemin d’une seule phrase de la maison que l’on quitte (Beith, la première lettre) vers le cœur (Lamed, la dernière lettre).

Les juifs ne savent ni lire ni écrire Dieu, qui est inconnaissable donc imprononçable en hébreu ; ils ne peuvent en donner que les consonnes, celles du tétragramme. Dans le même temps, l’alchimie utilise le langage des oiseaux, « oiseau » étant un mot qui contient toutes les voyelles. Nous empruntons aussi la facilité avec laquelle le judaïsme passe de l’histoire au mythe : les Constitutions d’Anderson de 1723 font référence à Adam, fondateur de la première loge non mixte.

La référence au Principe créateur appelle des références aux origines : origine du monde (les deux grands luminaires de la Création, le Soleil et la Lune, entourant le Delta rayonnant) ; origine de l’homme, puisque l’épée flamboyante sur le plateau du V.M., siège de la Lumière éternelle, arme les anges qui empêchent le retour dans le jardin d’Eden d’un Adam qui en est sorti.

A l’Occident, nous retrouvons le symbolisme du temple de Salomon. Les deux colonnes, dont Boaz, que le rituel d’initiation nous explique par la Kabbale juive, surmontée des 200 grenades décrites au premier livre des rois (ch. 7, versets 7-22). C’est le symbole végétal du degré, il n’y en a qu’un à chaque degré symbolique, mais cela invite à s’intéresser aux traditions animistes.

Cet exposé serait incomplet sans évoquer la source et l’influence du compagnonnage sur le Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Les loges symboliques ont pour vocation première de former de bons ouvriers, qui ont un rapport particulier au travail. C’est le principal intérêt de la référence au compagnonnage : en affinant la matière, on s’affine soi-même.

La communauté de culture entre le compagnonnage opératif et la franc-maçonnerie est telle qu’il y a eu controverse sur la filiation entre les deux. A la théorie de la transition, qui soutenait que les loges opératives avaient peu à peu incorporé des membres qui n’étaient pas du métier, a succédé celle de l’emprunt, soutenant que les textes fondateurs (les Constitutions d’Anderson de 1723 faisant référence aux anciens devoirs) procèdent du mythe.

Mais cet emprunt va bien au-delà : la tradition du métier nous renseigne sur l’existence dans la société profane de méthodes de pensée qui nous été transmises par tradition : une plus grande place pour les corporations, forme d’organisation politique disparue, pour l’initiation (par la Beauté du chef d’œuvre, pour le compagnonnage, mais aussi chevaleresque ou sacerdotale), pour le symbolisme (avant la Renaissance, on ne pense pas en fonction de la raison mais de la Tradition et du symbole).

L’instruction fait référence à deux degrés : le maître de la loge (il n’y en a qu’un) et les compagnons. Elle se préoccupe de donner un maître spirituel aux apprentis, qui ne sont pas sur le chantier : la loge est leur maître collectif.

Depuis le convent de Lausanne, le vaste mouvement de laïcisation du R.E.A.A. s’est poursuivi. Il est en effet plus facile d’échapper à la critique lorsqu’on emprunte à un rite égyptien dont personne n’a été contemporain, qu’à un rite proche de religions encore pratiquées.

Ce scrupule a conduit à de nombreux abandons dans les rituels. Par exemple, pour porter les messages du V.M. aux surveillants, il existait deux officiers supplémentaires, le premier et le second diacre…

Pour conclure, la franc-maçonnerie a exploité un grand nombre de sources et de traditions, ce qui a parfois créé un état d’esprit spécifiquement maçonnique : qui pourrait nier par exemple que la franc-maçonnerie a un rapport très particulier à la Lumière ?

Pour aller plus loin :

livres maçonniques

Modif. le 7 juillet 2024

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