Que la joie soit dans les cœurs : planche maçonnique. Comment aborder le symbolisme de la joie en franc-maçonnerie ?
Immédiatement après que nous avons éprouvé puis ouvert la chaine d’union, le VM interroge les frères surveillants et notamment le premier sur la satisfaction des ouvriers à l’approche de la fin de la tenue et sur l’heure à laquelle nous avons coutume de clore nos travaux.
Il est alors « minuit plein » et le VM indique qu’il est l’heure de renvoyer les ouvriers en espérant que nous puissions continuer à travailler ainsi, « dans la Liberté, la Ferveur et la Joie ».
En suivant, pour la fermeture de nos travaux, le VM nous demande de nous mettre à l’ordre et il émet le souhait que la Lumière qui a éclairé nos travaux continue de briller en nous pour que nous achevions au dehors du temple l’œuvre commencé dans le temple…
Dans la foulée, le VM forme l’invocation suivante : « Que la Paix règne sur la Terre », suivie de l’invocation prononcée par le 1er Surveillant : « Que l’Amour règne parmi les Hommes » et enfin, le Second Surveillant forme le vœu : « Que la Joie soit dans les cœurs ! »
Les plus attentifs auront relevé que déjà, lors de l’ouverture des travaux, lorsque le VM demande au Second Surveillant où est sa place dans la loge, il lui répond « au Midi ». Et lorsque le VM lui demande pourquoi il est placé ici, il répond « pour observer le soleil au méridien et appeler les Frères du travail à la récréation et de la récréation au travail, afin qu’ils en retirent profit et Joie. »
Mais que représente cette Joie, et que ne représente-t-elle pas ?
Que la joie soit dans les cœurs : voici une interprétation à travers cette planche maçonnique.
Voir aussi cette liste de planches au premier degré
Que la joie soit dans les cœurs : interprétation
Que la joie soit dans les cœurs ! constitue donc la dernière invocation avant que le VM ne donne aux Frères Expert et Maître des Cérémonies des injonctions, injonction d’assistance, puis injonctions de fermeture (du volume de la loi sacrée) et d’effacement (du tableau de loge), ceci avant que tous les Frères ne soient invités à quitter l’ordre.
Le Second Surveillant souhaite donc à tous les Frères de partir le cœur empli de joie, sur un ton plus ou moins gai, selon la personnalité de l’officier.
A ce titre, faut-il forcément paraître enjoué en prononçant ces paroles, qui peuvent présenter une certaine gravité au regard des enjeux ? D’autre part, la joie dont il est question n’est pas forcément synonyme de bonheur…
La différence entre joie et bonheur
Le bonheur peut être défini comme un concours de circonstances qui, certes, permet notamment la joie. Quant à la joie, elle est cet état d’être qui n’a besoin de rien pour conduire au bonheur.
De là, on peut conclure que la joie est de nature spirituelle, alors que le bonheur est une émotion passagère.
Ainsi, même si certains dictionnaires considèrent que la joie pourrait constituer une manifestation intense du bonheur, il s’agit ici de se limiter à la joie au sens maçonnique car l’invocation du Second Surveillant ne dit pas « soyez heureux ! » ni « que le bonheur soit dans vos esprits » mais bien « que la joie soit dans les cœurs ! »
Le mot joie provient du latin gaudia-gaudium qui signifie « aise-consentement-plaisir » qui, dérivé de gaudere peut être traduit par « se réjouir ».
Si, en prononçant la formule « que la joie soit dans les cœurs », le Second Surveillant appelle à se réjouir, peut-être qu’il s’agit de se réjouir de la réalisation des deux premières invocations du VM et du 1er Surveillant qui respectivement souhaitent la Paix sur la Terre et l’Amour parmi les Hommes.
C’est pour cela que l’instant est grave… Car cette joie éprouvée implique alors que nous ayons préalablement atteint les deux premiers objectifs…
A moins, seconde hypothèse, que cette joie soit le résultat du travail effectué, tendant à nous permettre d’envisager la Paix sur la Terre et l’Amour parmi les hommes. La joie en ce cas ne résulterait pas du résultat obtenu mais simplement du travail sans relâche que nous devons accomplir pour y parvenir.
La nature de la Joie maçonnique
La formule « Que la joie soit dans les cœurs ! » est prononcée au moment même où le Maître des Cérémonies éteint l’étoile du pilier Beauté, ce qui peut paraître étonnant.
Pour Confucius, « La joie est en tout, la beauté aussi, pourvu qu’on sache les extraire ». Spinoza, de son coté, a tendance à considérer la joie comme la puissance d’exister. Comment ne pas faire le rapprochement avec notre démarche, celle qui nous anime et nous rapproche en ce Temple, lorsqu’il écrit : « la joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. Je dis passage car la joie n’est pas la perfection. Car si l’Homme naissait avec la perfection à laquelle il aspire, alors il la possèderait sans sentiment de joie ».
Se laisser habiter par cette émotion particulière qu’est la joie maçonnique permet de s’en nourrir et de la diffuser autour de soi et ce, contrairement à d’autres émotions négatives que nous pourrions éprouver à l’heure de nous quitter et dont nous devons nous départir… par exemple la peur qui engendre la fuite ou le repli sur soi. Ou encore la colère qui provoque, si on ne parvient pas à la dompter, du ressentiment et de l’agressivité.
La joie est donc une sorte de relais, de catalyseur, qui déclenche une réaction positive par sa seule invocation, et qui sert à canaliser notre action pour mieux en transmettre les bienfaits dans le monde profane. Elle est ici synonyme d’espérance. Elle guide notre action et transmet notre volonté positive d’agir.
Que la Joie soit dans les coeur : le sentiment du devoir accompli ?
Lorsque le VM demande au Premier Surveillant si les ouvriers sont contents et satisfaits, il lui est répondu : « ils le témoignent sur l’une et l’autre colonne ». Le VM enchaine en disant : « Il est donc l’heure de les renvoyer… puissent-ils continuer à travailler ainsi dans la liberté, la ferveur et la joie ».
Cela signifie peut-être que le travail a été effectué conformément à notre devoir, et l’accomplissement de ce devoir nous procure un profond sentiment de joie intérieure.
Mais cela signifie aussi que nous devons continuer à travailler…
« Dans les cœurs »
L’invocation « que la joie soit dans les cœurs ! » désigne le lieu où réside la joie au sens maçonnique, en l’occurrence le coeur.
C’est l’endroit « sûr et sacré » dans lequel nous enfermons nos secrets, et qui symbolise l’Amour, cet amour fraternel qui inspire nos valeurs de tolérance, de bienveillance et de compassion, ce cœur dont Antoine de Saint-Exupéry disait qu’on ne voit bien qu’à travers lui.
C’est parfois la poésie qui délivre les plus beaux messages aboutissant à une joie profonde, émue mais durable. Paul Eluard parlait de l’harmonie à laquelle nous aspirons en disant : « un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs ».
Quoi qu’il en soit, nous devons poursuivre notre action en-dehors du Temple, éclairée par la Sagesse et par la Force mais aussi par la Beauté que l’on doit rechercher et extraire de toute chose.
Pour cela, il ne faut pas cesser d’être enthousiaste, ce mot qui provient du grec théo et qui signifie « Dieu Intérieur ». Car cet enthousiasme est la manifestation extérieure de la joie qui nous anime intérieurement, qui va nous aider à accomplir notre devoir dans le monde profane, à savoir « participer à l’amélioration constante de la condition humaine, obéir aux lois de notre pays, vivre selon l’honneur, pratiquer la justice et aimer son semblable », le tout en travaillant sans relâche au bonheur de l’humanité tout en poursuivant son émancipation progressive et pacifique.
C’est bien cette perspective qui emplit notre cœur de joie et, en ces temps si difficiles qui nous font douter de la capacité de l’humanité à présenter le meilleur d’elle-même, à l’heure où nos sociétés semblent davantage axées sur la colère, la haine et la violence que sur l’Amour et la Fraternité, c’est tout à l’heure encore et plus que jamais qu’avec beaucoup de gravité et d’enthousiasme, le Second Surveillant nous encouragera à quitter le Temple le cœur empli de joie.
Pour aller plus loin :
Ce livre numérique pdf (114 pages) comporte 33 planches essentielles pour approfondir les thèmes et symboles du premier degré maçonnique.
Il offre des points d’appui dans le labyrinthe des objets et concepts à décrypter.
Modif. le 26 juin 2024