Les portes solsticiales : que symbolisent-elles ? Comment aborder les solstices et les deux Saint-Jean en franc-maçonnerie ? Voici une planche au 1er degré.
Les fêtes des deux Jean, l’Évangéliste et le Baptiste, que nous célébrons chaque année, se situent respectivement les 27 décembre et 24 juin. Ces dates sont proches des solstices, les deux moments de l’année où la course annuelle du Soleil semble interrompue, la durée des jours ne se modifiant plus que de façon imperceptible. C’est bien ce que nous dit l’étymologie, le mot solstice provenant du latin Sol, Soleil, et stare, s’arrêter. On parle aussi de portes solsticiales.
Le 24 juin, le véritable Feu de la Saint-Jean devrait être allumé sur une hauteur, symbole de l’élévation spirituelle, et il est prolongé par les flammes qui s’élèvent et par la fumée impalpable qui rejoint le ciel.
Notre démarche se situant dans le Sacré, où le temps et l’espace ordinaires n’existent pas, nous sommes simultanément le 27 décembre et situés dans le sein de la Terre, au fond de la grotte cachée sous la montagne dans laquelle le Sage entretient son Feu secret.
Les deux, celui d’en haut et celui d’en bas, sont sur une même verticale, joignant le Ciel et la Terre. Nous la parcourons dans les deux sens, plongeant sans fin dans notre intimité puis nous élevant vers ce qui nous dépasse, établissant leur unité. Nous voyageons sur cette verticale comme l’opératif voyageait sur l’horizontale, et la loge de Saint Jean se trouve à la croisée des deux.
Cet article évoque les portes solsticiales comme deux points de passage vers ce qui nous manque. A moins qu’il n’y ait qu’une porte, à franchir dans les deux sens.
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Les portes solsticiales : interprétation
En certains endroits, une très jolie légende voulait autrefois que la bûche de Noël soit allumée avec un tison provenant du bûcher de la Saint-Jean de l’été précédent et qui en contenait donc le Feu.
Et naguère, dans le noir de la nuit de Noël, une bougie allumée était placée derrière les fenêtres obscures des maisons, symbole de la flamme qui existe en notre grotte intérieure. Une nouvelle vie y est en gestation, car la grotte est à la fois un tombeau et une matrice, de laquelle la Magna mater, la Grande Mère des Anciens, la Terre-mère donnera naissance à un être nouveau.
Les solstices, ou portes solsticiales, sont des passages d’un monde à un autre et par conséquent d’une vie à une autre. Il faut passer les portes gardées par Janus et franchir ainsi le seuil, c’est le sens du mot « sublime », comme l’est l’initié qui a franchi la limite, le latin limen signifiant seuil.
Janus
Le dieu romain Janus était en effet le gardien de ce que les anciens Grecs avaient nommé les Portes solsticiales. Pour eux, ces deux périodes au cours desquelles le cycle quotidien du Soleil semble se répéter à l’identique, constituaient une porte vers l’invisible. Janus signifie en effet porte en latin. Ce dieu est le janitor, celui qui ouvre et ferme les portes, januae. Franchir une porte revient à quitter un lieu pour un autre. Ici, il s’agit d’entrer dans un nouveau cycle, l’ancien étant terminé.
Janus, gardien du seuil, donne le passage grâce à la clé qui est son attribut. Il est le dieu de l’initiation, mot provenant du latin in-ire, entrer, qui a donné initiatio.
Il présente deux aspects, correspondant chacun à l’un des solstices, et possède deux clés :
- celle d’hiver est en or et donne accès aux grands mystères de l’initiation d’Éleusis, célébrés autrefois dans le temple de Déméter, ceux de l’Esprit,
- la clé de la Saint-Jean d’été est en argent, elle fait entrer dans les petits mystères, ceux de l’âme humaine.
La renaissance à laquelle elles donnaient accès conduisait à l’homme dans son unité, à la fois corps-âme et matière-esprit.
Portes solsticiales et initiation
Le temps que nous vivons est irréversible. Un cycle écoulé ne reviendra jamais, il est comme mort mais renaît chaque fois pour une nouvelle phase. Nous nous intéressons ici au cycle du Soleil au cours d’une année, mis en évidence par sa hauteur dans le ciel au méridien, ou par la durée du jour.
Le début de ce cycle se situe au minimum de clarté, quand le Soleil a presque disparu et avec lui, sa lumière et sa chaleur, c’est un peu comme la nuit des origines, avant la Création biblique. Car, de même que la Lumière existait, latente, dans le noir d’où le Créateur la sépara, elle est présente même dans nuit la plus noire, symbolisée par la bûche qui brûle dans l’âtre, réchauffant et éclairant l’obscurité de la sorte de grotte où nous nous trouvons en cette phase de mort apparente et de retour à la terre.
Toute progression initiatique se fait par mort et renaissance, mort de l’ancien individu que nous avons été et que nous ne sommes plus, car nous avons progressé en Connaissance et en expérience, en raison et en sentiments.
Tout ceci se retrouve dans notre processus initiatique, dont le tout début est le Cabinet de réflexion, tombeau du vieil homme, matrice d’où sortira l’homme nouveau, lieu où les Alchimistes préparent la matière première en mélangeant Soufre et Mercure en justes proportions, dans la perspective de découvrir la Pierre précieuse qu’elle contient.
L’alternance de la lumière et des ténèbres gouverne le monde et Janus, en nous ouvrant les portes solsticiales, nous montre les voies de l’initiation que ces passages nous font vivre.
Que se passe-t-il lors des solstices ? Chaque fois, la porte est ouverte, le temps d’une pause du Soleil et nous sommes entre les deux phases, descendante et ascendante, autrement dit dans le présent qui est la réalité de notre être. Janus possède deux faces opposées, tournées l’une vers le passé, l’autre vers l’avenir, et le présent est l’espace impalpable entre les deux, le temps de l’ouverture de la Porte. C’est une brèche dans le temps et l’espace, donnant accès au Sacré où ces notions n’existent pas.
La lumière n’est pas la Vérité, elle est ce qui nous permet de voir le chemin y conduisant, éclairant la partie consciente de notre âme, sa partie raisonnable, qui réfléchit et tente de comprendre. Sa partie non objectivée, comme disent les psychologues, est dans l’obscurité, elle est le réservoir contenant notre être en devenir, une sorte de chaos originel dans lequel s’agitent des fantasmes venus d’on ne sait où. Il en jaillit des pulsions irraisonnées, nous faisant parfois agir d’une façon que nous regrettons ensuite.
Quand nous aurons franchi l’une de ces portes solsticiales et qu’elle se sera refermée, notre conscience examinera tout ce que nous aurons vécu, ressenti, craint, aimé ou détesté lors de cette phase obscure.
Nous sommes habitués à ce travail, très tôt commencé lors de l’initiation maçonnique. Après le Cabinet de réflexion, les Voyages dans le noir correspondent à cette phase solsticiale et les impressions d’initiation sont le début de l’objectivation du vécu de la cérémonie. Au cours de celle-ci, les sens sont exacerbés et l’intellect tente de comprendre ce qui se produit mais il perd rapidement pied. Il se contente alors d’enregistrer les émotions les plus marquantes de celui qui demande à pénétrer ses propres mystères.
Réaliser l’unité de notre être commence par celle du conscient et de l’inconscient. Pour les Romains, Janus était effectivement le dieu des initiations !
Ombre et Lumière
Les portes solsticiales sont attribuées l’une aux hommes, l’autre aux dieux. Instinctivement, on attribuerait aux dieux celle du haut, car touchant leur domaine symbolique et celle du bas, touchant le domaine terrestre, appartiendrait aux hommes. Mais dans une perspective initiatique, ces deux portes nous concernent.
L’initié parvient par ses efforts à s’élever jusqu’à la Porte des hommes, au solstice d’été, dans la pleine lumière. Dans cet état éphémère, il rayonne de toute la Lumière trouvée en lui, mieux, qu’il a fait naître en lui. Il est radieux, au sens étymologique, et le Feu de la Saint-Jean symbolise toute la Lumière de la Connaissance et toute la chaleur de l’Amour que les Initiés ont fait naître en eux et qui éclaire l’esprit et réchauffe les cœurs de ceux qui le contemplent.
Le Nouvel homme achève ainsi à l’extérieur l’œuvre commencée dans son Temple intérieur. Mais cet état d’achèvement n’est pas complet, il ne peut pas l’être. La perfection qu’il atteint correspond au maximum de ce qu’il peut faire dans son état du moment, et c’est cet état qu’il doit améliorer, selon la méthode initiatique qui consiste à mourir périodiquement pour renaître à un niveau supérieur.
Concrètement, le Franc-Maçon doit nécessairement redescendre de la montagne où son Feu a brillé pour, de nouveau pénétrer dans sa grotte, mourir, renaître et vivre une nouvelle phase qui le mènera plus haut encore.
Les portes solsticiales et l’Œuvre alchimique
Sil l’Alchimiste parvient à entrevoir la Pierre promise par le VITRIOL du Cabinet de réflexion, celle-ci contient encore de nombreuses impuretés. L’Adepte doit augmenter le Feu jusqu’à ce qu’il soit suffisant pour transformer en Or, état de perfection de la matière, tout ce qu’il touchera, à commencer par lui-même. Alors il broie cette Pierre et l’utilise comme Matière première d’un nouveau cycle d’accomplissement de l’Œuvre.
Avec la nouvelle Pierre obtenue, il recommencera et ce, autant de fois que nécessaire. Sept fois, dit-on parfois mais en réalité, le processus dure toute une vie tant il y a à faire. Chaque fois le résultat sera meilleur, la Pierre plus active, le Feu plus fort.
Dit autrement, les deux Saint-Jean, les deux portes solsticiales sont les bornes, les Colonnes d’une dualité entre lesquelles nous nous situons et oscillons sans cesse, entre conscient et inconscient, examinant à la lumière de la raison ce que nous trouvons en nous d’instincts et de pulsions provenant de notre partie animale et que nous devons apprendre à maîtriser.
Au fur et à mesure de cette unification de notre individu, corps et âme, nous prenons conscience de l’étincelle supérieure qui nous vient du Feu de l’été et pénètre en nous par la Porte des dieux, au solstice d’hiver. C’est elle qui fait naître en nous le Désir de nous élever toujours plus, à la recherche de ce Créateur dont nous postulons l’existence, dans notre quête du sens de notre vie.
En réalité bien sûr, et par la vertu du Temps sacré où nous nous situons, tout se produit simultanément en nous, et nous nous situons perpétuellement entre ombre et Lumière. Nous décomposons intellectuellement le processus afin de mieux le vivre et le rendre efficace.
Que la Lumière du solstice qui éclaire nos Travaux continue de briller en nous, afin que nous achevions au-dehors l’Œuvre commencée dans la Loge en la répandant dans le monde…
Pour aller plus loin :
Modif. le 5 août 2024