Les origines de la franc-maçonnerie en France : comment la maçonnerie spéculative est-elle arrivée en France ? Quand la première loge a-t-elle été fondée ?
A partir de 1598, les loges de maçons écossais s’établissent sur une base territoriale, alors que les loges anglaises, affectées à chaque chantier, continuent de naître et mourir au rythme des constructions. Cet évènement constitue le premier acte fondateur de la franc-maçonnerie telle que nous la connaissons.
D’autre part, à partir de 1634, les loges écossaises commencent à accepter des gentilshommes en leur sein. Mieux, à cette même époque, des loges non opératives commencent à se constituer, composées en majorité ou en totalité de gentilshommes ne relevant pas du métier de maçon.
Toutefois, la naissance de la franc-maçonnerie est revendiquée par les Anglais en 1717 avec la création de la Grande Loge de Londres, qui réunit quatre loges de la capitale britannique. Les Anglais tenteront d’effacer les références aux premières loges écossaises pour des raisons politiques. En effet, en 1714, George Ier de Hanovre est porté sur le trône britannique par les protestants. Les jacobites, partisans d’un retour des Stuart (dynastie d’origine écossaise) sur le trône, sont défaits. George Ier souhaite contrôler la société civile et la franc-maçonnerie.
Le passage de la franc-maçonnerie de la Grande-Bretagne vers la France s’inscrit dans ce contexte, sachant que dans leurs démêlés avec les protestants anglais, les Stuarts se sont rapprochés de la France catholique et établis à Saint-Germain en Laye dès 1689.
Voici les origines de la franc-maçonnerie en France.
Les origines de la franc-maçonnerie en France
Dans les années 1720, la lutte d’influence entre protestants et jacobites n’épargne pas la Grande Loge de Londres. Le duc de Wharton, de retour d’Europe où il s’est converti à la cause jacobite, prend la Grande Maîtrise en 1722 par un mini-coup de force. Il la perdra l’année suivante, mais la lutte d’influence, perdue à Londres par les jacobites, se poursuivra sur le sol français, où le duc de Wharton sera le premier Grand Maître en 1728.
Cependant, les premières loges en France ne doivent rien à la Grande Loge de Londres, dont la première implantation à Paris ne date que de 1732.
Les deux plus anciennes loges de France pourraient être deux loges issues de l’ancienne tradition, arrivées à Saint-Germain-en-Laye en 1689 avec les régiments de la garde de Jacques II Stuart : « La Parfaite Égalité », loge du régiment de la garde irlandaise du colonel lord William Dorrington, et « La Bonne Foi », loge du régiment écossais du colonel Dillon.
La Parfaite Égalité : la plus ancienne loge française
En 1776, la loge La Parfaite Égalité demande au Grand Orient de France une régularisation de sa Constitution ; quelques mois plus tard, le Grand Orient admet que les Constitutions primitives de la loge datent du 26 mars 1688, époque où le régiment se battait pour Jacques II Stuart en Irlande. Malheureusement, les documents sur lesquels fut fondée cette décision se sont perdus, mais il y a là une présomption que « La Parfaite Égalité » soit la plus ancienne loge introduite sur le sol français, puisque son régiment débarqua à Brest le 9 octobre et tint garnison à Saint-Germain-en-Laye jusqu’en 1698.
En tout cas, on parle de franc-maçonnerie en France dès le tout début du XVIIIe siècle : pour preuve, Les Freimaçons, vaudeville sur un air anglais, est un ouvrage saisi en 1705 chez le libraire Huchet, qui semble avoir des liens avec les jacobites. Un demi-siècle plus tard, Bertin de Rocheret soutient cette ancienneté : « Frées maçons ou francs-maçons, Société ancienne d’Angleterre (…) introduite en France à la suite du Roy Jacques Il en 1689, y devint fameuse sous Milord Comte de Derwentwater élu grand Maître Catholique en 1737. J’y fus reçu cette année le 9 septembre à la Loge du Vénérable frère duc d’Aumont ».
La première loge française prouvée indiscutablement est effectivement fondée en 1725 à Paris, rue des Boucheries, par Charles Radcliffe of Derwentwater, James Hector McLeane of Duart et Dominique O’Heguerty, ainsi que l’indique l’article « Franc-maçonnerie » rédigé pour le supplément de l’Encyclopédie par Jérôme de Lalande, lui-même franc-maçon.
Dans son article, Lalande oublie de préciser que les fondateurs de 1725 sont tous trois fervents jacobites, très actifs à la cour de Saint-Germain :
- Charles Radcliffe de Derwentwater est le petit-fils de Charles II Stuart. Son frère aîné, James, a été décapité à la Tour de Londres le 24 février 1716 ; Charles le sera à son tour le 8 décembre 1746. Charles Radcliffe de Derwentwater s’était évadé le 11 décembre 1716 de la prison d’Old Newgate pour se rendre en France.
- Hector McLeane, pair d’Écosse et successeur de son père, sir John, à la tête de son clan, fut le correspondant des Stuart dans les Highlands.
- Dominique O’Heguerty est le correspondant à Paris de la famille irlandaise et jacobite Walsh, armateurs à Nantes et à Saint-Malo, petits-fils et neveux du capitaine Jacques Walsh qui commandait le navire qui transporta vers la France Jacques II Stuart en 1690.
Ces personnes n’étaient bien entendu pas les bienvenues à Londres après 1717, compte tenu de la révolte jacobite de 1715.
A noter par ailleurs qu’au moins deux francs-maçons ayant appartenu à la loge de Dunblane (Ecosse) dans les dernières années du XVIIe siècle, donc bien avant 1717, sont influents à la cour des Stuart à Saint-Germain : le duc de Melfort et Alan Cameron of Lochiel.
Le prince Édouard Stuart, à cette époque prétendant à la Couronne d’Angleterre sous le nom de Jacques III, est franc-maçon, c’est une lettre du comte de Clermont qui le confirmera. Il est né en France, et n’a posé le pied dans les îles Britanniques que pour lancer la rébellion de 1715.
La présence de la Grande Loge de Londres en France
La concurrence whig, c’est-à-dire la Grande Loge de Londres, ne s’implantera sur le sol français que le 3 avril 1732 avec la loge « Saint-Thomas, Au louis d’argent », rue des Boucheries.
En 1734 aura lieu au château d’Aubigny une tenue solennelle où la Grande Loge de Londres sera représentée par le duc de Richmond et Jean Théophile Desaguliers, en présence de l’ambassadeur d’Angleterre, lord Waldegrave, membre de la loge londonienne « L’Oie et le Gril », et du baron de La Brède ainsi que de Montesquieu.
Enfin, la loge « À la ville de Tonnerre », elle aussi rue des Boucheries, a laissé son registre du 18 décembre 1736 au 17 juillet 1737, saisi par les hommes du lieutenant de police Hérault de Fontaine. Son premier Vénérable est Jean Coustos, joaillier venu d’Angleterre, qui en restera l’animateur bien qu’il en ait fait élire Vénérable le duc de Villeroy, le 17 février 1737.
Parallèlement à cette présence de la Grande Loge de Londres en France, les jacobites se développent et essaiment. De 1728 à 1738, les Grands Maîtres de l’Ordre des francs-maçons dans le royaume de France, qui se succèdent par élection chaque année, seront jacobites, à commencer par le premier, le duc de Wharton en 1728.
En 1735, les Règles générales de la maçonnerie mentionnent Jacques Hector McLeane, chevalier baronet d’Écosse, « Grand Maître de l’ancienne et respectable société des francs-maçons dans le royaume de France ».
A noter que le terme « Grande Loge de France » apparaît en 1737.
On peut l’imaginer, les relations ne seront pas faciles entre la Grande Loge de Londres en France et la Grande Loge de France. Elles donneront lieu à un conflit qui tournera à l’avantage des Anglais, ce qui portera un coup d’arrêt à la diffusion des degrés écossais en France. Toutefois, la grande maîtrise du comte de Clermont remettra la Grande Loge de France en mouvement.
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Modif. le 20 avril 2025