« On ne voit bien qu’avec le coeur » : signification de cette célèbre citation de Saint-Exupéry. Qu’est-ce que la vision du coeur ? En quoi consiste-t-elle ?
Paru au cours de la deuxième guerre mondiale, le Petit Prince est un conte d’Antoine de Saint-Exupéry dans lequel l’auteur imagine sa rencontre avec un enfant, le Petit Prince, qui lui raconte son histoire et la raison de sa venue sur la Terre.
Le chapitre XXI est un dialogue entre le Petit Prince et un renard, qui lui apprend ce que signifie « être apprivoisé ».
Etre apprivoisé ou apprivoiser signifie « créer des liens » dit le renard, en l’occurrence des liens de solidarité ou d’amitié. Créer de tels liens avec une personne permet de la distinguer des autres, de la voir comme unique. Le renard dit que lorsque des gens s’apprivoisent, ils ont besoin les uns des autres.
Le renard avance que sans amis, on s’ennuie, mais qu’avec des amis, le bonheur apparaît. Il demande ensuite au Petit Prince de l’apprivoiser, ce à quoi il consent.
Le renard invite ensuite le Petit Prince à réaliser ce qui fait le caractère unique de la rose qu’il a laissée sur sa lointaine planète : cette rose est différente de toutes les roses qu’il a pu rencontrer sur Terre, non pas extérieurement, mais par la relation que le Petit Prince a pu tisser avec elle, puisqu’il l’a arrosée, abritée et soignée.
Vient le moment des séparations :
Et il revint vers le renard :
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, 1943
– Adieu, dit-il…
– Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.
– L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir.
– C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
– C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose… fit le petit prince, afin de se souvenir.
– Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…
– Je suis responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir.
Par ces mots, le renard insiste sur la nature des liens d’amitié, qui, lorsqu’ils existent, changent radicalement notre perception des autres et du monde, nous faisant entrer dans une nouvelle réalité.
Entrons dans la signification de la citation « On ne voit bien qu’avec le coeur ».
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« On ne voit bien qu’avec le coeur » : signification, interprétation
« On ne voit bien qu’avec le coeur », dit le renard. Cette vision du coeur, profonde, s’oppose à la perception ordinaire des choses.
Au quotidien en effet, nous ne percevons pas l’importance des objets ou des êtres qui nous entourent, et nous n’établissons aucun lien avec eux. Nous passons à côté d’eux sans les considérer vraiment.
Mais si nous décidons de les adopter, c’est-à-dire de les faire entrer dans notre monde, alors tout change. La chose ou l’être considéré commencent à jouer un rôle dans notre vie : ils prennent de l’importance, ils influent sur ce que nous sommes (et vice versa), il deviennent indispensables. Un lien indéfectible se crée, des émotions naissent : amour, bonheur, tristesse, nostalgie… ce qui nous rend pleinement vivant.
Les choses que nous décidons d’adopter deviennent une part de nous-même. C’est alors que notre destin rencontre celui des autres.
Si l’on élargit encore l’analyse, on comprend que la vision du coeur correspond à la prise de conscience que nous dépendons de tout ce qui peuple l’univers. Notre destin s’inscrit alors dans celui du cosmos tout entier : tout est solidaire, tout est lié, ce qui rappelle la quintessence d’Aristote (le cinquième élément ou « ciment » du monde) ou encore la sympatheia des stoïciens.
La vision du coeur est donc une prise de conscience de notre véritable place dans l’humanité et au sein du Tout : nous dépendons de ce Tout, nous ne pouvons exister qu’à travers lui. De fait, nous sommes au carrefour de toutes les influences du monde, bien loin de l’illusion de la séparation.
L’intelligence du coeur : la véritable connaissance
On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands.
Ce passage souligne la tendance des hommes à ne plus prendre le temps de regarder les choses, à ne plus voir ce qui les relie à elles. Les hommes achètent machinalement ce dont ils ont besoin pour survivre, sans même tenter de comprendre, sans tenter d’approcher le sens de la vie. La vie, au sens noble, cède alors la place aux rapports froids, matérialistes.
La véritable connaissance consiste au contraire à « apprivoiser » les choses, c’est-à-dire à leur accorder une véritable place dans notre vie : la place qu’elles occupent en réalité déjà.
Il faudra donc passer d’une intelligence mécanique et utilitariste à une intelligence subtile, une intelligence du coeur capable de discerner l’invisible, en l’occurrence les liens qui rassemblent les êtres et les choses, et qui fondent la cohérence et l’harmonie du Tout.
Les perceptions ordinaires et la perception du coeur
Au quotidien, nos perceptions nous éloignent de la réalité, puisqu’elles sont déformées par une infinité de filtres inconscients. Autrement dit, nous voyons tout à travers le prisme de notre individualité et de nos intérêts personnels (instincts, pulsions, habitudes, conditionnements, éducation, culture…). Nous ramenons tout à nous, nous jugeons tout en bien et en mal, nous nous enlisons dans nos certitudes.
Pour Platon (l’Allégorie de la Caverne), il est nécessaire de nous détacher de nos propres perceptions pour espérer atteindre un jour la vérité, laquelle réside dans les idées abstraites, absolues et « idéales ».
« On ne voit bien qu’avec le coeur » : conclusion
La vision du coeur est marquée par l’acceptation et l’Amour. C’est une vision globale des choses et du monde, une vision qui ne sépare pas, qui ne juge pas mais qui au contraire comprend et accueille.
Le coeur est l’organe qui diffuse le fluide universel dans le corps, de la même manière que l’Amour coule dans toute chose, sorte de présence invisible et rappel du lien qui existe entre tous les êtres et toutes les choses.
Au final, le discours du renard réintroduit une forme de poésie humaniste dans un monde marqué par un matérialisme froid. Conscient des liens qui nous unissent, capable de reconnaître ses émotions, heureux de vivre (même dans la tristesse), le renard montre la voie de la sagesse. Une sagesse qui consiste donc avant tout à ouvrir son coeur, à se laisser traverser par la présence des autres et du monde.
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Modif. le 22 mai 2024