Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

De la maçonnerie opérative à la franc-maçonnerie moderne

5/5 (1)

De la maçonnerie opérative à la franc-maçonnerie : comment est-on passé des loges de compagnons bâtisseurs de cathédrales à la maçonnerie spéculative ?

Comme toutes les institutions, les loges maçonniques ont une histoire. Cette histoire prend racine au Moyen âge, s’accélère au début du XVIIIe siècle et continue jusqu’à nos jours.

Une loge est d’abord le local où se réunissent les francs-maçons. La loge est la cellule commune à toutes les organisations maçonniques du monde : c’est bien elle qui fait de l’homme un franc-maçon. L’universalité maçonnique est donc fondée sur l’existence des loges.

Nous allons voir que les premières loges sont nées dans le contexte de la maçonnerie opérative.

Au Moyen âge déjà, à partir du Xe siècle, et plus encore à partir des XIe et XIIe siècles, lorsqu’on construisait un édifice religieux important, on établissait, à côté de l’église ou de la cathédrale, un autre édifice beaucoup plus petit en bois ou en pierre, appelé loge.

Et c’est dans ce local que se réunissaient ceux qui avaient la charge de bâtir l’édifice. Hughes de Saint-Victor, théologien français né à la fin du XIe siècle, distingue les charpentiers (carpentarios), les menuisiers (lignaros) et dans l’architecture proprement dite les cimentarios, c’est-à-dire ceux qui lient les pierres entre elles avec du mortier, et enfin les latomos, qui taillent et sculptent, donnant une forme à la pierre brute.

Ces derniers prendront le nom de mestres maçons de franche pier, ce qui donnera, vers les années 1351, free stone mason, expression traduite et remplacée plus tard par « franc-maçon ».

La loge était donc réservée aux ouvriers qui avaient à charge de bâtir une église, une cathédrale ou une basilique. Ces ouvriers étaient dirigés par un maître d’œuvre, à la fois entrepreneur et architecte, le magister, qui était responsable, devant les autorités ecclésiastiques, de la construction.

C’est dans la loge que se retrouvaient les maçons opératifs : là, ils pouvaient prendre leurs repas, se reposer et s’abriter des intempéries. Mais surtout, ils se retrouvaient ensemble pour travailler, dégrossir, tailler, et sculpter la « pierre ».

Ils recevaient un enseignement pratique, abordant quelques éléments de géométrie nécessaires à l’architecture, qui étaient tirés entre autres de l’Art de bâtir de Vitruve.

Dans ce lieu privilégié, ils échangeaient aussi des mots, des signes de reconnaissance qui leur permettaient d’aller de chantier en chantier afin de se faire reconnaître comme compagnons instruits à l’Art de bâtir par leurs maîtres.

Cette main-d’œuvre particulièrement qualifiée était une main-d’œuvre flottante qui venait de tous les coins de l’Europe : d’Italie, de Germanie, de France, d’Angleterre, des Provinces unies ou encore d’Écosse.

Il n’était pas rare de voir travailler sur un même chantier des hommes issus de nationalités différentes. Cette main-d’œuvre était aussi composée d’hommes libres, de condition libre, ce qui, à l’époque, voulait dire qu’ils n’étaient pas serfs mais affranchis de tous seigneurs féodaux ou dirigeants ecclésiastiques, indépendants aussi de toute confrérie et de toute association profane ou religieuse.

Ils ne dépendaient donc que du maître de la loge, le laird, et de la loge elle-même.

Notons qu’au Moyen Age, l’exercice des professions était très réglementé. On distinguait deux sortes de métiers : les métiers réglés et les métiers jurés. Les premiers étaient régis par les pouvoirs publics. Les métiers jurés constituaient, eux, une sorte de corps autonome, et l’admission dans ce corps faisait l’objet d’une prestation d’un serment. L’association des « francs-maçons » appartenait à cette deuxième catégorie.

Le maître-maçon devait prêter serment ; il s’engageait alors à respecter, à conserver les règles du métier, mais aussi à respecter des règles morales qui concernaient « le pauvre et le riche, le faible et le fort ».

Plus tard en 1390, le manuscrit Régius précise certaines règles du serment, en particulier relatives au secret, par exemple :

Il ne révélera à aucun homme ce qui se passe dans sa loge, ni ce qu’il entend, ni ce qu’il voit faire. Il ne dit à aucun homme, où qu’il aille.

On retrouve de semblables prescriptions dans les statuts de Ratisbonne. En 1459, les maîtres tailleurs de pierre de Strasbourg, de Vienne, de Salzbourg, de Constance, de Cologne et d’autres villes de Germanie se rassemblent à Ratisbonne afin d’unifier le statut des loges. Ils reprennent les mêmes dispositions et témoignent de la même organisation.

Chaque loge a son lieu de travail avec la place du maître à l’est. Le maître, chef de la loge, est responsable de l’observation des statuts et de la soumission de ses membres à la coutume. Il est assisté d’un « parlier », forme germanisée du français « parleur ». Ce parlier est chargé de parler aux compagnons et aux apprentis, d’être l’interprète du maître.

L’apprentissage est de longue durée, parfois sept ans, puis cinq, puis plus tard réduit à quatre ans.

Les compagnons sont liés par toutes sortes de prescriptions, professionnelles, morales, religieuses. Ils doivent obéissance au maître et sont tenus au strict respect du rituel. Ces membres paient des amendes en cas de transgression.

L’apprenti peut devenir compagnon et le compagnon qui a voyagé peut devenir « parlier ».

Dans tous ces manuscrits, il est fait mention d’un « serment ». Ce serment était solennellement prêté à la fin d’une cérémonie d’admission au cours de laquelle le compagnon, après avoir reconnu sa dette envers Dieu, entendu une histoire générale du métier, écouté la lecture des devoirs, recevait du maître de la loge un certain nombre de secrets, « mots», « signes » et « attouchements ».

Ce serment était prêté la main posée sur les Évangiles en présence de toute l’assemblée des francs-maçons. Par le serment, l’homme se lie à lui-même, aux autres membres de la loge ainsi qu’à la règle morale : c’est le fondement d’une nouvelle alliance.

Le serment rappelle aussi celui des ordres de chevalerie. Car à la même époque, il existe en Europe de tels ordres, uniquement ouverts à des hommes libres, indépendants de toute attache sociale, de toute subordination temporelle. On ne peut entrer dans un ordre chevaleresque qu’après un long apprentissage relatif à l’art de la guerre, à la chasse, à l’équitation et au combat auxquels s’ajoute une véritable recherche de développement intérieur.

Le chevalier connaît ses devoirs envers Dieu, envers les autres, envers lui-même. Il jure de défendre « la veuve et l’orphelin », il doit être « l’ami du riche et du pauvre » qu’il se doit de secourir. Le chevalier jure sur l’honneur de consacrer son âme à Dieu et sa vie au Roi.

Le maçon opératif n’est ni un clerc ni un guerrier mais un travailleur manuel, ce qui le rattache à la troisième des classes sociales du Moyen âge, que l’on appellera plus tard le tiers-état, autrement dit les hommes de rang inférieur. Le travail manuel est en effet la conséquence du péché originel et la suite de la malédiction divine…

Or, voilà que le travail va peu à peu devenir instrument de rédemption et moyen de salut. En effet, à partir de la seconde moitié du Xe siècle, le travail en général et la maçonnerie opérative en particulier acquièrent une certaine valeur dans la société.

Dieu lui-même n’est-il pas considéré comme un travailleur, un architecte qui construit le cosmos et les hommes ? L’homme qui travaille à l’image de Dieu, au service de Dieu, voit son rôle de mieux en mieux reconnu, puisqu’il touche au sacré.

D’autant plus que le travail, pour le maçon de l’époque, n’est plus simplement un moyen de subsistance : il est un outil de perfectionnement intérieur et d’élévation spirituelle. Car pour construire le temple de Dieu, les francs-maçons opératifs doivent s’aligner, s’ordonner, se bâtir eux-mêmes, et leur loge doit être le reflet de l’ordre universel, dans une fraternité qui reflète l’Amour divin.

Quel rapport, quel lien entre ces maçons opératifs et les maçons modernes, dits spéculatifs, entre la loge que nous venons de décrire et les loges d’aujourd’hui ?

Pour comprendre ce passage de la maçonnerie opérative à la maçonnerie spéculative, il faut situer la loge maçonnique elle-même dans son contexte historique.

Tout d’abord, la guerre de Cent Ans (1337-1437), qui oppose la France à l’Angleterre, bouleverse le climat politique de l’époque et entraîne un ralentissement de la vie économique et, par-là même, un ralentissement dans la construction des monuments. Elle porte un coup sérieux aux associations de bâtisseurs et aux loges maçonniques elles-mêmes.

En conséquence, comme l’écrit un contemporain, « les secrets de l’art gothique sont peu à peu délaissés ». Les loges maçonniques, peu à peu, disparaissent de l’Europe, excepté en Écosse, où elles se maintiennent grâce au Roi et aux municipalités qui ont pris en charge ces associations de maçons, leur fournissant des travaux et leur permettant ainsi de survivre.

C’est ainsi qu’en 1598, le roi d’Écosse nomme William Schaw surveillant général des maçons et dote les loges d’un statut qui reprend les vieilles coutumes du métier.

Dans le même temps, les loges opératives ont tendance à s’installer dans les villes et les bourgs, où elles deviennent permanentes.

Très rapidement, elles vont accepter des hommes étrangers au métier, que l’on nommera « francs-maçons acceptés ». Le nombre de ces derniers ne cessera de croître et ils finiront par constituer la majorité des membres des loges. On sait par exemple qu’à un certain moment, la loge d’Aberdeen (Écosse) comprendra seulement dix opératifs sur les quarante-neuf membres.

 La loge devient alors une sorte de structure d’accueil pour des hommes de convictions politiques et de croyances différentes, mais qui choisissent de mettre au-dessus de leurs querelles la paix civile, et au-dessus de leurs propres croyances la tolérance, c’est-à-dire le respect d’autrui. La maçonnerie opérative devient spéculative : c’est la naissance de la franc-maçonnerie moderne.

Géométrie sacrée Adrien Choeur

Quelles sont les bases de la géométrie sacrée ? Comment interpréter les formes géométriques ? Quel éclairage sur le sens de la vie ?

Ce livre numérique pdf (134 pages) aborde les notions essentielles de la géométrie sacrée à travers 27 textes et 105 images ou figures.

Modif. le 10 janvier 2025

Vous pouvez noter cet article !