Les passions : planche maçonnique. Comment définir les passions en franc-maçonnerie ? Faut-il les accepter ou lutter contre elles ?
Il faut le reconnaître, le monde avance grâce aux passions, même si le franc-maçon s’emploie à être un homme du Milieu. Car la sagesse ne peut venir que du calme, de la tempérance et de la tolérance, cette dernière vertu n’étant ni une faiblesse ni un renoncement.
Mais que sont précisément les passions, ou la passion ? Du latin patior, souffrir et du grec pathos souffrance. Le ton est donné… On parle ici de souffrance, mais il faut aussi parler d’élan de vie, et pour les philosophes romantiques, la vie n’aurait point de saveur sans passion. A l’inverse, les philosophes rationalistes pensent que la passion empêche l’accès à la Vérité en raison du brouillard qui aveugle la raison.
En fait, le mot passion cache des réalités très diverses : il y a des passions positives (l’amour) qui peuvent devenir néfastes (l’attachement). Autre exemple, la curiosité peut être positive ou négative…
La passion renvoie aux émotions, aux sentiments, aux élans qui sont parfois difficiles à maîtriser…
Voici une planche sur la passion ou les passions en franc-maçonnerie.
Voir aussi notre liste de planches maçonniques au grade d’apprenti
La passion dans la mythologie
Dans la mythologie, la passion évoque l’hybris qui peut se traduire par démesure, orgueil, et renvoie à un comportement ou un sentiment violent déterminé par les passions auquel il faut opposer la tempérance.
Ainsi, chez les Grecs, la passion est traitée essentiellement à travers Hybris, déesse de l’insolence, de l’orgueil, de la violence, de l’arrogance et du scandale. Elle est la femme de Polémos, le dieu de la guerre, et ce dernier l’aime tellement qu’il conviendrait qu’elle ne descende pas parmi les hommes au risque de sérieux désordres… Elle le fera pourtant.
Racine, dans sa pièce Phèdre, dévoile toutes les émotions par lesquelles passe Hybris, bafouant les lois du monde et l’ordre universel. Mais Phèdre n’est que le jouet d’un destin plus vaste touchant toute sa famille ayant fauté par passion, passion amoureuse la plupart du temps.
En mythologie, la ou les passions n’amènent que mort violente, opprobre, malédiction, condamnation éternelle et folie. Les héros, rois et dieux ne font que subir et se débattre bien vainement contre leur(s) passion(s).
Bref, la mythologie explique à travers des métaphores ce qui anime les hommes et les outrances auxquelles cela conduit : tout ce qui est fait sous l’influence de la passion, au sens de pulsion non retenue, est patior et pathos, c’est-à-dire souffrance. En résumé, la non-maîtrise de soi conduit à des catastrophes…
La passion au 1er degré maçonnique
Certains rituels maçonniques parlent de « vaincre les passions ». Citons notre rituel en particulier :
Le bandeau qui couvre vos yeux est le symbole de l’aveuglement dans lequel se trouve l’homme dominé par ses passions et plongé dans l’ignorance et la superstition.
(…)
Sachez Monsieur que c’est pour mettre un frein salutaire à nos passions, pour nous élever au-dessus des intérêts mesquins qui tourmentent les profanes, que nous nous assemblons dans nos Loges.
Citons encore ce passage du rituel consécutif à l’épreuve de l’air (1er voyage) :
Récipiendaire, le voyage symbolique que vous venez de faire est l’emblème de la vie humaine. Les bruits que vous avez entendus figurent les passions qui l’agitent. […] Cette expérience symbolique doit vous inciter à la sagesse dans vos desseins, à la prudence dans vos élans.
Après l’épreuve de l’eau (2ème voyage) :
Cependant, il n’est pas encore délivré des combats qu’il est obligé de soutenir pour triompher de ses passions et de celles des autres hommes.
Ainsi, il nous faut vaincre, mettre un frein salutaire, combattre et triompher de nos passions qui nous aveuglent, nous agitent, nous rattachent à des intérêts mesquins, cela afin de nous inviter à la sagesse et la prudence.
A première vue, il faut donc anéantir nos passions pour parvenir à la sagesse, ou tout du moins au calme intérieur nous permettant de cheminer vers celle-ci. Malheureusement le chemin est toujours trop long pour pouvoir en voir le bout…
Pour autant, est-ce bien ce qui nous est transmis ? Que signifient vaincre, combattre, triompher ? N’est-ce là qu’un champ lexical guerrier pour nous faire ressentir l’immense quête qui se présente à nous ? Et pourquoi « dominer » ou « mettre un frein salutaire », qui semble nuancer les mots « combattre » et « vaincre » ?
Vaincre serait-il éliminer l’adversaire et ainsi toutes traces de ce « feu » (le feu étant ici un symbole de la passion) qui nous consumerait, ou bien ne serait-ce pas plus exactement une invitation à maitriser ces passions pour en triompher, non pas en les éliminant mais bien en les domptant ? Quelle est la place de nos passions dans notre équilibre personnel ?
L’importance des passions
Que serait le monde sans les passions ? Que seraient la musique classique, la littérature, la poésie, le voyage sur la Lune, les tableaux des grands maîtres, les grandes découvertes sans les passions ?
Sans passion, rien de ce que nous avons créé ne serait possible. Les passions constituent notre énergie vitale. Elles émergent de notre individualité, de notre ego, et nous permettent de nous dépasser, de nous réaliser : elles sont tout ce qui fait le sel de la vie.
Mais ces passions doivent être domptées, canalisées, ceci pour éviter qu’elles se retournent contre les autres et contre nous-mêmes. Car les passions incontrôlées sont funestes : on pense aux plus grands artistes fauchés dans leur jeunesse, à la folie de Van Gogh, à l’alcoolisme de Toulouse-Lautrec, à la dépression de Gauguin, à la misère de Mozart…
Ici, le Rite nous indique le chemin possible : vaincre ses passions ne signifie pas les anéantir mais bien cheminer avec elles et leur apporter tempérance, raison et recul. Car la quête spirituelle est elle-même fondée sur la passion, la soif de découvrir, l’envie de connaître. Quel paradoxe !
Ainsi, les passions constituent ce qui motive notre quête mais aussi ce qui lui fait obstacle, puisqu’elles nous maintiennent dans l’illusion. A ce titre, la sage est peut-être celui qui emprunte la voie du Milieu, se nourrissant de ses passions pour avancer, tout en voyant au-delà d’elles… Exercice pour le moins difficile.
Par ailleurs, pouvons-nous vaincre quelque-chose que nous ne connaissons pas ? Notre devoir est bien de nous connaître nous-même, et donc de connaître l’origine de nos passions, leur ressort, leur source profonde.
Conclusion sur les passions en franc-maçonnerie
Faut-il vaincre ses passions ? Faut-il vivre sans passion pour progresser spirituellement ?
Les philosophies orientales nous incitent à abandonner nos passions pour laisser émerger la partie pure et universelle de notre être. Mais est-ce vraiment possible ?
Quoi qu’il en soit, la franc-maçonnerie nous demande de prendre du recul par rapport à nos passions, pour ne pas nous laisser déborder, dominer par elles. C’est aussi l’objectif de la prière ou de la méditation, autres voies spirituelles.
Les passions sont indispensables à la beauté, à la création, à l’amour, bref à la vie. Elles nous caractérisent, elles font partie de nous. Nous devons savoir les utiliser en conscience pour notre progression personnelle.
Les passions sont nos compagnons, parfois de mauvais compagnons lorsqu’ils agissent dans l’ombre, tirant les ficelles malgré nous, nous maintenant dans le limité et le partiel, mais parfois aussi de bons compagnons si nous parvenons à les soumettre à la raison et à nos valeurs humanistes, dans une logique de partage, de fraternité et de bonheur universel.
Il faudra donc analyser, visiter et connaître précisément nos passions pour parvenir à les mettre au service de nos objectifs les plus nobles…
Pour aller plus loin :
Ce livre numérique pdf (114 pages) comporte 33 planches essentielles pour approfondir les thèmes et symboles du premier degré maçonnique.
Il offre des points d’appui dans le labyrinthe des objets et concepts à décrypter.
Modif. le 23 août 2024