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La famille : héritage, identité et névroses

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La famille : approche philosophique et psychologique. Comment aborder la famille, à quoi sert-elle ? Que nous transmet-elle ? Que nous apprend-elle sur nous-mêmes et sur les autres ?

Dans notre société actuelle, comme dans toutes les sociétés, les valeurs familiales sont vénérées. La famille représente l’unité, la stabilité, l’amour et la transmission. C’est le cocon qui soude et qui protège, la cellule où l’on naît et grandit, le lieu des découvertes et des apprentissages, l’endroit où l’on peut à tout moment se réfugier.

C’est en famille que l’on apprend les règles du vivre-ensemble : le respect, la tolérance, la générosité, l’honnêteté et l’empathie. La famille, même sous ses nouvelles formes, reste le socle de la vie humaine et la base d’une société solidaire et ordonnée.

Il en ressort une vision idéalisée de la famille, équilibrée et harmonieuse, au service des membres qui la composent.

L’endroit où naissent les enfants et où meurent les hommes, où fleurissent la liberté et l’amour, n’est ni un bureau, ni un magasin, ni une usine. C’est la famille.
Gilbert Keith Chesterton

Pourtant, les réalités familiales sont bien différentes et s’écartent de cette vision parfaite : à peu près toutes les familles sont marquées par des conflits profonds, des rancunes tenances, des animosités ou des haines. Les familles sont traversées par des drames, des jalousies, des déchirures qui véhiculent culpabilité et honte. Des « problèmes » dont on préfère ne pas parler, la plupart d’entre nous préférant s’en tenir à une harmonie de façade, entre secrets et non-dits.

Les pires histoires sont des histoires de famille.
Jovette-Alice Bernier, Non monsieur

Et si la famille idéale était un mythe ? Et si la famille telle qu’elle existe dans l’imaginaire collectif n’avait jamais existé ? Cet écart entre idéal et réalité peut créer de la souffrance. Car on se méprend certainement sur la famille, son utilité, son ressort, sa nature profonde. Le but de la famille n’est peut-être ni l’union ni l’harmonie, mais autre chose que l’on ne perçoit pas encore.

Au-delà de l’image d’Epinal, il convient de se réinterroger sur la famille. Sortir du mythe permettra peut-être de se réconcilier avec le « système familial », un système dont personne ne sort indemne…

A quoi sert la famille ? A protéger, à unir, à élever ses membres. Mais au-delà de cette image de cohésion, les familles sont vouées à l’éclatement et à la désunion, ne serait-ce que parce que les enfants sont destinés à quitter le foyer : les fratries se délitent et les parents restent seuls.

La famille est donc un phénomène éphémère et impermanent : à l’image de la vie, de nouvelles familles se fondent sur les ruines des anciens noyaux familiaux, avant de se fissurer elles-mêmes sous l’effet du temps.

Ce délitement se trouve parfois accéléré par les divorces, les conflits ou les mésententes.

Guy de Maupassant est l’un des auteurs qui décrit le mieux la famille dans son côté sombre. La famille maupassantienne est toujours divisée, déchirée, irrémédiablement morcelée. Pour Maupassant, l’union et l’harmonie de la cellule familiale relèvent de l’impossible : il décrit les brisures de la conjugalité, les échecs de la fraternité, les désastres de la filialité ou encore la faillite de la paternité.

La famille est donc par définition destinée à se fracturer et à mourir. Les enfants, dès l’adolescence, rêvent à d’autres horizons. Les couples voient leur amour se flétrir et se séparent. Le mariage des enfants annonce la formation de nouvelles « cultures familiales », parfois incompatibles avec la culture d’origine, ce qui donne lieu à des tensions.

Même les familles les plus soudées, qui se réunissent ponctuellement dans leur version élargie à l’occasion de vacances, de fêtes ou de repas, finissent par voir leurs liens se distendre avec le décès des anciens et la concurrence de nouvelles dynamiques familiales.

La famille est un nid de perversions.
Simone de Beauvoir

C’est en famille que l’on apprend les valeurs positives fondamentales et que l’on tente de cultiver l’amour. Mais c’est aussi là que se développent la jalousie, les injustices, les rancœurs…

La famille est le lieu où naissent les rapports biaisés et malsains, débouchant immanquablement sur des névroses. Car la famille est violente, entre frustrations, pression ressentie, rôle impossible à tenir, attentes insatisfaites, fantasmes déçus, préférences inconscientes ou affichées, incompatibilités, conflits de loyauté, manque d’équité, regrets, culpabilité…

Nombreux sont les auteurs, psychiatres et psychanalystes, qui ont décrit le mécanisme qui conduit au développement de conflits affectifs au sein des familles, dont les enfants sont les acteurs malgré eux et surtout les premières victimes. Ces spécialistes parlent de la famille comme un patient à part entière, objet de névroses bien spécifiques.

Tensions, disputes, reproches, haines latentes et évitements traversent la plupart des familles. Au-delà du souvenir des instants de partage et de bonheur, la souffrance est partout…

La haine entre proches est la plus profonde.
Tacite

La famille est d’abord le lieu de la transmission, donc de l’héritage.

Le sociologue Pierre Bourdieu décrit l’héritage comme la transmission d’un capital financier (argent), social (relations) et culturel (éducation), ce qui favorise la reproduction sociale et la perpétuation des inégalités.

Consciemment ou non, les parents mettent en place des stratégies (matrimoniales, scolaires, professionnelles…) pour transmettre leur patrimoine dans les meilleures conditions. Mais ces stratégies, en plus d’écorner la cohésion sociale, peuvent générer des tensions et des oppositions au sein même des familles.

Ainsi, la famille est le lieu des névroses et des héritages imposés, héritages qui nous coupent des autres et peuvent être vécus comme un véritable fardeau. La famille fait donc de nous des êtres malades, éloignés de notre nature profonde et des autres.

Mais alors, à quoi sert la famille, et que peut-on y voir de positif ?

On pourrait imaginer une société où les enfants sont « mis en commun », pris en charge par la communauté, sans être spécifiquement élevés par leurs parents. On éviterait ainsi sans doute les inégalités et nombre de maladies psychologiques…

Pourtant, il n’est pas dit que l’individu dénué de toute origine familiale serait plus heureux. Car la famille crée notre identité : elle fait de nous le carrefour d’histoires, d’influences, elle forge notre personnalité, elle signe notre enracinement, elle nous rappelle que nous venons de quelque part.

Nous l’avons dit, la famille est l’outil de la transmission des gènes, de la culture et de l’éducation. Elle nous rattache à la terre et à notre destinée.

L’enfance est le moment où l’on reçoit cet héritage. Moment souvent difficile et tourmenté, parfois heureux, en tous cas indispensable. Charge ensuite à l’enfant devenu adulte de faire le tri dans ce qu’il a reçu.

L’adulte en paix avec lui-même est celui qui a visité, analysé, pris du recul sur son histoire et ses origines familiales. Il est celui qui réinterroge ses valeurs acquises, sa culture et tout ce dont il a hérité, faisant le tri entre ce qu’il souhaite jeter ou garder, entre ce qui lui a été imposé et ses aspirations réelles.

En mettant à distance tous ces éléments, en faisant l’effort de mieux se connaître, il peut marcher vers son être véritable, son Soi dénué de tout déterminisme obligé.

Pour Carl Gustav Jung, fondateur de psychologie analytique, le « processus d’individuation » est le chemin qu’un individu emprunte pour devenir conscient de la totalité de ce qu’il est, de la totalité de ce qu’il a reçu. La psychanalyse va dans le même sens, et plus généralement toute méthode d’analyse ou de thérapie familiale.

Seule cette prise de conscience permettra notre guérison. Nous nous libérerons alors de la critique, du jugement et de la culpabilité, en nous assumant tels que nous sommes. Nous pardonnerons à nos proches et à nos parents, nous adopterons un rapport plus sain avec eux.

Etre adulte, c’est avoir pardonné à ses parents.
Goethe

Voilà peut-être le chemin d’une vie familiale heureuse, lucide, sans reproche et sans attente particulière. Car les meilleurs moments en famille sont les moments vécus ensemble, dans le présent, sans regret ni faux espoir.

Je libère mon partenaire de l’obligation de me compléter.
Je libère mes parents du sentiment qu’ils ont échoué avec moi.
Je libère mes enfants du besoin de m’apporter de la fierté, afin qu’ils puissent écrire leur propre chemin selon leur cœur.
Je ne manque de rien, j’apprends avec tous les êtres tout le temps.
Je remercie mes grands-parents et mes ancêtres qui se sont réunis pour que je puisse respirer la vie aujourd’hui.
Je les libère de leurs échecs passés et de leurs désirs non accomplis, sachant qu’ils ont fait de leur mieux compte-tenu des contraintes qu’ils avaient.
En conscience, j’accomplis mon projet de vie, libre de toute loyauté familiale qui pourrait perturber ma paix et mon bonheur.

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Modif. le 20 août 2024

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