Je vous crée, constitue et reçois : voici une interprétation de cette formule prononcée par le Vénérable Maître lors de la cérémonie d’initiation au grade d’Apprenti.
Le néophyte, après avoir subi les épreuves et effectué les voyages initiatiques, après avoir recouvré la vue afin de pouvoir considérer les outils symboliques placés sur l’autel des serments, après avoir été intégré à la chaine d’union, après avoir confirmé ses nouvelles obligations, se voit intronisé franc-maçon.
A cette occasion, il entend les mots suivants prononcés par le V.M. :
À la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, au nom de la Franc-Maçonnerie Universelle et sous les auspices de la Grande Loge de France. En vertu des Pouvoirs qui m’ont été conférés par cette Respectable Loge,
Je vous crée !
Constitue !
Et reçois !
Apprenti Franc-Maçon, Premier degré du Rite Écossais Ancien et Accepté et membre de cette Respectable Loge de Saint-Jean, constituée à l’orient de … et le titre distinctif …
Cette phrase s’accompagne d’un cérémonial qui n’est pas sans rappeler celui des chevaliers du Moyen Âge.
En effet, le V.M. tient de la main gauche l’Épée Flamboyante (épée de feu, symbole du pouvoir spirituel) dont il pose légèrement la lame sur la tête du néophyte. Ce dernier se tient genou droit à terre.
Le maillet (symbole du pouvoir temporel) en main droite, le V.M. procède en trois fois :
- Je vous crée ! 1er coup de maillet sur la lame posée sur la tête,
- Constitue ! 2ème coup de maillet sur la lame posée sur l’épaule gauche,
- Et reçois ! 3ème coup de maillet sur la lame posée sur l’épaule droite.
Ainsi, ce rituel rappelle directement la cérémonie de l’adoubement, qui permettait à un homme d’être élevé au rang de chevalier.
Je vous crée, constitue et reçois : un adoubement
Adouber, du vieux-francique dubban (« frapper ») signifie toucher ou frapper, référence à la « colée », coup du plat de la main porté à la base du cou afin de vérifier le courage et la résistance physique du jeune homme, futur chevalier.
À partir du XIIe siècle, cette collée fait place à « l’accolade » : le parrain passe les bras autour du cou du jeune homme en vue de lui conférer, dans la cérémonie de l’adoubement, le titre de chevalier. L’accolade s’accompagne de trois coups d’épée que l’adoubé reçoit sur le cou, ou successivement sur le sommet du crâne et les épaules. Par ces gestes, le néophyte prend conscience de l’importance de ce rituel de passage.
Car voilà l’expression commune à notre rituel et au rituel chevaleresque : rite de passage. Passer de l’état de jeune homme à celui de chevalier, passer de l’état de néophyte à celui d’apprenti franc-maçon.
Le V.M., en apposant l’épée flamboyante et en frappant les coups de maillet, purifie, transforme et retire tout ce qui est superflu. Par ces trois attouchements, il rend libre le néophyte : libre d’intégrer l’Ordre (et d’en partir), libre d’accepter le Rite, libre d’appliquer le rituel.
Par ailleurs, le V.M. nous met à égalité : dans la loge, nous sommes avant tout frères, c’est-à-dire identiques et interchangeables dans la fraternité.
Liberté, Égalité, Fraternité, notre devise est aussi celle de la République, et rappelle les trois coups de l’adoubement. Peut-être devrions-nous aussi y voir les trois voyages initiatiques vecteurs de sagesse, de force et de beauté.
Trois coups, tête, épaule, épaule : voilà que se dessine le Delta lumineux dont le centre est la tête, siège de l’esprit. Les chevaliers y voyaient quant à eux le symbole de la Trinité.
Le relèvement
Relevez-vous, mon Frère, car dorénavant vous ne recevrez plus d’autre appellation parmi nous.
Approchez et recevez de moi l’Accolade fraternelle, au nom de tous les Frères de cette Respectable loge.
Le relèvement symbolise la transformation accomplie, réussie. Le profane vient de changer d’état : il est devenu franc-maçon et Frère à part entière.
Or, c’est bien l’accolade qui confère cette fraternité. A noter que dans le rituel, le mot Accolade est écrit avec une majuscule, preuve de son importance.
D’autre part, le mot accolade revêt une triple définition :
- c’est l’accolade des chevaliers,
- c’est le fait d’embrasser, de serrer dans ses bras en signe d’affection,
- c’est enfin un terme d’architecture, en l’occurrence un arc constitué de courbes et de contre courbes (style gothique).
Le relèvement suivi de l’accolade est un acte fort, un acte d’amour et de fraternité que tous les frères par l’intermédiaire du V.M. portent à l’apprenti.
Je vous crée, constitue et reçois : les trois étapes
Entrons dans le détail des verbes créer, constituer et recevoir.
Je vous crée…
Créer, du latin creare, c’est tirer du néant, mais aussi « engendrer produire, fonder, bâtir ».
Le V.M. nous créé. Il dirige la cérémonie d’initiation, ordonne notre passage dans le cabinet de réflexion, nous fait subir les voyages et les épreuves. Il met en œuvre notre transmutation, appliquant les méthodes alchimiques.
Le V.M. met en forme la matière. Mais il n’est pas à proprement parler un créateur : il ne fait qu’appliquer et transmettre la méthode.
… constitue…
Constituer, du latin constituere, signifie « placer debout, établir, instituer ». Ce verbe annonce le relèvement à venir. C’est l’Oeuvre au blanc, la naissance de l’homme debout, conscient, capable de prendre ses outils pour travailler sur lui-même.
C’est aussi l’avènement de l’homme qui a trouvé le sens et le but de sa vie, en l’occurrence se placer au service de ses Frères pour construire une nouvelle humanité :
La Franc-maçonnerie est un Ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité. Elle constitue une alliance d’hommes libres et de bonnes mœurs de toutes nationalités et de toutes croyances. La Franc-maçonnerie a pour but le perfectionnement de l’Humanité.
Ainsi constitué, l’apprenti devient membre à part entière, chainon, pierre dans l’édifice.
… et reçois
Le verbe « recevoir » traduit une triple notion :
- d’admission : admission dans l’Ordre et le Rite. C’est aussi l’accueil dans la loge, dans la chaîne d’union,
- de présentation : présentation aux autres Frères,
- et d’acceptation : acceptation de soi, des autres, des travaux confiés.
Conclusion
« Je vous crée, constitue et reçois » évoque la chevalerie, et plus particulièrement la légende arthurienne de la quête du Graal, qui est pour nous la quête de la vérité.
L’intronisation ne donne pas accès au Graal, mais elle suggère que nous avons en nous le potentiel pour le trouver. Nous sommes désormais des chevaliers, capables de mener la lutte contre nous-mêmes, avec le secours et le soutien de nos Frères.
Nous venons de vivre une première transformation, fondamentale, mais bien d’autres épreuves nous attendent…
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Modif. le 3 août 2024
