Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer : planche au 4ème degré REAA. Comment interpréter cette maxime en franc-maçonnerie ?
Guillaume Ier de Nassau (1533-1584), dit Guillaume d’Orange ou Guillaume le Taciturne, est un personnage historique célèbre pour avoir initié la révolte des Pays-Bas contre le roi d’Espagne Philippe II, fils de Charles Quint. Cette révolte mena à l’indépendance des Pays-Bas du Nord : les Provinces-Unies.
Guillaume d’Orange était connu pour son caractère sceptique et taciturne, ce qui ne l’empêchait pas de continuer à faire ce qu’il considérait comme son Devoir. Sa persévérance sera payante, puisque son opposition aux Espagnols ouvrira la voie à la l’indépendance des Provinces-Unies.
La devise de Guillaume d’Orange est aujourd’hui celle des Pays-Bas et de la ville d’Orange : Je maintiendrai.
Au 4ème degré du REAA, la maxime du Taciturne apparaît sous la forme suivante : « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Nous allons voir que cette devise éclaire parfaitement la signification de ce degré.
Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer : la place de cette maxime dans le rituel du 4ème degré REAA
La maxime arrive à un moment important du rituel d’élévation au 4ème degré, juste avant la prestation de serment du Maître Secret :
LE PREMIER INSPECTEUR
Sachez, mes Frères, que l’idéal de la Franc-Maçonnerie est l’accomplissement du Devoir porté jusqu’au sacrifice. Êtes-vous prêts à faire votre devoir en toutes circonstances, quoi qu’il puisse vous en coûter ?LE RÉCIPIENDAIRE :
Je le suis.LE PREMIER INSPECTEUR
Vos travaux peuvent n’être pas récompensés, car celui qui sème ne récolte pas toujours.
Êtes-vous prêts à accomplir votre devoir parce qu’il est le Devoir, sans songer à la récompense, et à être satisfaits de l’approbation de votre seule conscience ?LE RÉCIPIENDAIRES :
Je le suis.LE PREMIER INSPECTEUR :
S’il en est ainsi, souvenez-vous de la maxime du Taciturne : Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.LE RÉCIPIENDAIRE :
Rituel d’initiation au grade de Maître Secret
Je m’en souviendrai.
Tentons d’interpréter la maxime « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ».
Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer : interprétation
La maxime peut sembler déroutante au premier abord. En effet, comment peut-on entreprendre une action sans en espérer quelque chose pour soi-même ou pour les autres ? Cela semble impossible ou utopique.
En réalité, il faut replacer cette maxime dans son contexte :
- notre progression maçonnique s’est déroulée de manière régulière et prometteuse au 1er et au 2nd degré,
- l’accession au grade de Maître devait marquer l’aboutissement de notre quête spirituelle et l’accession aux ultimes secrets,
- malheureusement, un obstacle infranchissable s’est dressé au moment même de notre élévation au 3ème degré : les trois mauvais compagnons ont surgi et ont tué Maître Hiram, ce dernier emportant avec lui les secrets.
Ainsi, ce qui devait être notre couronnement devient notre fardeau : les trois mauvais compagnons (qui caractérisent notre nature humaine) nous ferment le chemin spirituel. La quête s’arrête. Notre démarche n’a plus de sens. Nous avons échoué et cet échec semble irrémédiable.
C’est dans ce contexte que se déroule notre accession au 4ème degré : les travaux du Temple sont suspendus, les Frères sont dans la douleur, la Loge est en deuil, les murs sont tendus de noir, des larmes d’argent sont représentées sur des blasons. Tout semble mort, perdu.
Autrement dit, nous sommes dans un moment de blocage, dans une impasse. Cette impasse repose sur un constat simple : notre ego, qui avait été jusque-là le moteur de notre quête spirituelle, fait maintenant obstacle à cette même quête. Car il faut le reconnaître, en entrant en franc-maçonnerie, nous attendions quelque chose. Nous avions soif de Connaissance, nous souhaitions nous élever, nous étions fiers de nos progrès. Nous souhaitions, comme les trois mauvais compagnons, accéder aux plus hauts secrets.
Ainsi, au 4ème degré, nous nous trouvons devant un nœud, un paradoxe à résoudre, qui concerne la place de l’ego dans notre démarche. Dans ces conditions, peut-on continuer à avancer ? La maxime du Taciturne vient nous apporter une réponse : il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.
Autrement dit, la maxime nous encourage, malgré notre chute, malgré l’échec, malgré l’impasse, à continuer la quête, à aller de l’avant, même si nous n’en avons plus l’envie, même si ne sommes plus en mesure d’en comprendre le sens. Un autre moteur doit maintenant nous animer : le Devoir. C’est ainsi que le Premier inspecteur nous lance : « êtes-vous prêts à accomplir votre devoir parce qu’il est le Devoir, sans songer à la récompense, et à être satisfaits de l’approbation de votre seule conscience ? »
Quand le Devoir s’impose
Le Devoir est la grande découverte du 4ème degré. Désormais, le Devoir prend le relais de notre individualité. Il nous impose de continuer à mener la quête spirituelle, à présent de façon désintéressée, presque détachée. La quête spirituelle devient notre destin, et le Devoir notre nouvelle raison de vivre. Ici le Devoir prend le sens d’un sacrifice : il est la seule chose qui puisse nous permettre de nous transcender nous-même.
La quête spirituelle peut enfin se déconnecter de l’ego : désormais, nous viendrons en loge non pas parce que nous le voulons, ou parce que cela nous plait, mais parce que c’est notre Devoir.
La différence entre espoir et espérance
Nous l’avons dit, la maxime du Taciturne annonce un nouveau moteur à la quête spirituelle, en l’occurrence le Devoir, qui a remplacé le désir égoïste d’accéder aux secrets.
Autrement dit, l’espérance a remplacé l’espoir. Alors que l’espoir est l’attente d’un résultat concret pour soi-même, l’espérance est une confiance pure et désintéressée en l’avenir.
Désormais, l’espérance est notre guide. Elle semble nous conduire vers un résultat que nous ne connaissons pas à l’avance, vers des réponses insoupçonnées. Un nouveau chemin spirituel apparaît : il consiste à renoncer à soi-même pour progresser, à reculer pour avancer, à lâcher prise pour saisir.
Et le rituel nous donne des raisons d’espérer :
LE TROIS FOIS PUISSANT MAÎTRE
Je vous couronne de Laurier et d’Olivier, dans l’espérance de vos succès futurs et de votre ultime victoire.
De même, il nous est donné une clé d’ivoire qui nous permettra de passer la balustrade pour pénétrer un jour dans le Saint des saints, lieu des ultimes secrets :
LE TROIS FOIS PUISSANT MAÎTRE
Pour l’instant, il vous est interdit de franchir cette barrière ; mais vous avez la clé et, quelque jour, il vous sera permis d’ouvrir et de passer.
Au final, la maxime du Taciturne « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » marque notre véritable entrée dans les hautes régions de la Connaissance spirituelle. Désormais, la quête se fait par l’esprit au service de l’Esprit : elle se suffit à elle-même. Restera à régler définitivement la question des trois mauvais compagnons, c’est-à-dire celle de l’ego.
Voir aussi notre liste de planches au 4ème degré REAA
Pour aller plus loin :
Ce livre numérique pdf (98 pages) comporte 28 planches essentielles pour approfondir les thèmes du quatrième degré REAA.
Il offre des points d’appui pour décrypter les sentences, les décors, les signes et objets symboliques rencontrés par le Maître Secret.
Modif. le 23 mars 2024