La guerre en philosophie : d’où vient-elle ? Peut-elle être évitée ? Pourquoi fait-on la guerre ? La guerre peut-elle être morale ?
La guerre est un rapport conflictuel qui prend la forme d’une lutte armée. Les forces en présence utilisent la violence pour contraindre la partie adverse et tenter de s’imposer.
La guerre a quelque chose de total : il faut détruire l’autre, il faut le vaincre pour survivre. La guerre se livre sans aucune retenue : elle est un déchainement, un déferlement.
La guerre marque l’échec de la politique et du dialogue. Elle se justifie par le fait que l’autre n’a pas voulu nous comprendre ou respecter nos positions, ou par la nécessité de se défendre. Quoi qu’il en soit, la guerre est toujours la faute de l’autre.
Dans une guerre, c’est toujours l’adversaire qui commence.
Francis Blanche
Mais pour faire la guerre, il faut être deux. Autrement dit, il faut être d’accord pour s’affronter. La guerre est une symétrie et un manichéisme : chaque partie pense incarner le bien contre le mal et la réconciliation semble impossible.
La guerre s’accompagne de propagande, de manipulation, de mensonges, de mauvaise foi. Elle est étrangère à la raison, elle ne supporte aucune analyse critique, aucune remise en question. Chacun doit se positionner dans un camp ou dans l’autre : il n’y a pas de position médiane tenable.
La première victime d’une guerre, c’est la vérité.
Rudyard Kipling
La guerre nous place face à l’adversaire, mais aussi face à nous-même, face à nos limites, à nos contradictions et à nos instincts les plus obscurs, destructeurs et auto-destructeurs.
Voici une approche de la guerre en philosophie.
Lire aussi notre article : Le conflit en philosophie, psychologie et spiritualité
La guerre : approche philosophique
La guerre marque la fin de la politique (les relations humaines organisées) et l’arrêt de la diplomatie (l’art de maintenir des relations entre Etats). Pour Clausewitz, célèbre théoricien militaire, la guerre est la « poursuite de l’activité politique par d’autres moyens ».
Les conflits armés naissent du constat de positions irréconciliables et incompatibles : le fossé est devenu impossible à surmonter.
La guerre pose des questions philosophiques et morales : est-elle utile ? est-elle naturelle ? y a-t-il des guerres justes ?
La guerre est-elle utile ?
On aurait tort de croire que la guerre peut conduire à un règlement définitif des différends. En effet, les vaincus humiliés rêveront certainement de revanche ou de vengeance. En laissant libre cours à la haine, en nourrissant un ressentiment durable, en générant des traumatismes, la guerre appelle d’autres guerres.
A titre d’exemple, la guerre franco-allemande de 1870 a conduit à la Première guerre mondiale, qui a elle-même causée la Deuxième guerre mondiale. Le même type d’engrenage s’est produit au Moyen-Orient depuis 1945.
Ainsi, la guerre s’inscrit dans un cercle vicieux et constitue un échec pour tous. Elle n’offre aucune solution durable. Elle perpétue les tensions, elle pousse à la création d’armes toujours plus puissantes et à l’emploi de solutions toujours plus perfectionnées et radicales.
On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre.
Jean Jaurès
La guerre est-elle naturelle ?
La guerre a toujours été au coeur des relations humaines. On pourrait penser que la guerre est naturelle puisque le conflit existe au sein de la Nature : les animaux luttent pour leur espace vital, ils s’affrontent et s’entredévorent.
Cependant, on ne peut pas dire que les animaux se fassent la guerre. Seul l’Homme est en capacité de mettre en place des stratégies visant à la soumission ou l’anéantissement complet de l’adversaire, qu’il soit humain ou non humain. La race humaine est la seule à être allée jusqu’à éliminer des espèces animales ou perpétrer des génocides.
Tant que les hommes massacreront les animaux, ils s’entretueront.
Pythagore
Ainsi, la guerre est le propre de l’homme : c’est un hybris, une démesure, une folie sans limite. Mais l’hybris appelle toujours un rééquilibrage, un juste retour des choses : dans la mythologie grecque, l’hybris est compensé par la némésis, c’est-à-dire la colère des dieux qui s’abat sur les humains orgueilleux et ignorants.
Une guerre peut-elle être morale ?
On peut se poser la question de savoir s’il existe des guerres justes ou moralement acceptables.
Au préalable, il faut se demander si la diplomatie elle-même est morale. La diplomatie consiste à parler à tout le monde, même à son pire ennemi. Elle consiste à trouver un terrain d’entente en partant des intérêts de chacun. Paradoxalement, c’est parce qu’elle n’obéit à aucune morale que la diplomatie est efficace. A l’inverse, l’irruption de la morale dans la diplomatie peut mener à la guerre, notamment s’il est fait référence à des lignes rouges idéologiques.
En réalité, la diplomatie cultive une seule valeur morale, universelle : la paix.
Ainsi, la guerre naît bien souvent de l’irruption de l’idéologie dans les relations humaines. Chacun tente alors d’imposer sa morale, de s’approprier la notion de « bien », ce qui débouche sur des croisades menées contre le « mal » au nom de la vérité. Arrogance et fanatisme nourrissent ce type d’ambition.
A la source de la guerre, il y a donc l’intolérance, une intolérance qui conduit à tuer ses propres frères en leur refusant le droit de penser autrement que soi-même. Cela est contraire à toutes les traditions de sagesse universelle.
Tu ne tueras point.
Deutéronome 5, 17
A l’inverse, certains pensent que la guerre peut dans certains cas se justifier, par exemple si la menace est imminente, si l’agression est évidente, ou encore si un mandat est donné par une organisation internationale pour stopper une agression. Dans ce cas, l’entrée en guerre doit avoir un seul objectif : le cessez-le-feu et la négociation. En cas de victoire, il ne s’agira pas d’occuper un peuple mais de se retirer et de l’aider à se reconstruire.
Cette approche semble équilibrée mais comporte des risques importants. Mais avant d’aller plus loin, demandons-nous s’il est possible de refuser la guerre.
Peut-on refuser la guerre ?
La guerre n’est pas forcément une fatalité : on peut refuser d’y prendre part, à l’image des objecteurs de conscience.
Notons que de nombreux pays se définissent comme neutres ou non-alignés. A ce titre, on remarquera que c’est bien la composition d’alliances qui mène à la guerre. Plus les alliances sont larges, plus la guerre tend à se globaliser. A l’inverse, si tous les pays se déclaraient neutres ou non-alignés, il n’y aurait plus de guerre.
On objectera qu’il est impossible de refuser la guerre si elle nous est imposée. Cela n’est pas toujours vrai : il est possible de déposer les armes et de renoncer à combattre. Sans combattant et sans arme, il n’y a plus de guerre ni de motif d’occupation.
Ne donne au mal rien à quoi s’opposer
et il disparaîtra de lui-même.
Tao Te King 60
Quand deux grandes forces s’opposent,
la victoire va à celui qui a appris à céder.
Tao Te King 69
Le chemin vers la paix
Suite aux évènements tragiques de la Seconde guerre mondiale, la guerre s’est « civilisée ».
Le droit de la guerre s’est perfectionné et certaines armes ou pratiques sont désormais interdites. Des règles humanitaires sont apparues. L’ONU dispose d’un conseil de sécurité et peut envoyer des forces d’interposition. Les armées travaillent sur la défense et la dissuasion plutôt que sur la conquête. Mais les armes sont toujours là et les alliances aussi. Des conflits éclatent régulièrement à travers le globe.
La paix n’a donc pas réussi à s’imposer, cette paix réclamée avec force par Jean Jaurès à la veille de la Première guerre mondiale :
C’est d’un esprit libre que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui s’annonce par des symptômes multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive. L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.
Jean Jaurès
L’humanité doit envisager la perspective d’une paix durable et définitive, faute de quoi elle pourrait connaître une nouvelle guerre globale qui lui serait fatale.
L’humanité devra mettre un terme à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l’humanité.
John Fitzgerald Kennedy
Marcher sur le chemin de la paix est une nécessité mais aussi un devoir. Le XXème siècle a vu la mise en place d’institutions internationales fonctionnant plus ou moins bien. Déjà en 1795, le projet de paix perpétuelle de Kant visait à supprimer les armées permanentes, prônait la liberté des peuples et la non-ingérence.
Mais pour espérer établir la paix dans le monde, il faut d’abord pouvoir l’instaurer en soi-même…
Aux sources profondes de la guerre : la guerre intérieure
Qui veut la guerre est en guerre avec soi.
Alain
Nous portons tous la guerre en nous. Lorsque nous nous sentons menacés ou attaqués (à tort ou à raison), notre première réaction est la révolte et la lutte. Notre psychisme nous commande de résister coûte que coûte, selon un mécanisme qui peut aller jusqu’à la destruction mutuelle.
Précisément, la guerre obéit à cette idée qu’il ne faut jamais céder, quel que soit le prix à payer. C’est la marque de notre ego qui, s’épanouissant dans la haine, ne connaît jamais la défaite, même dans la mort.
Pourtant, la haine n’est pas le seul fonctionnement de l’être humain. L’Homme est aussi capable de compassion, de compréhension et d’amour. C’est ce ressort qui permettra la désescalade, la négociation et le retour à la paix.
Ainsi, chaque être humain est l’objet d’une guerre intérieure ; son théâtre psychique met en scène les deux forces essentielles que sont l’amour et la haine. Il faudra choisir entre lâcher-prise ou lutter, s’ouvrir ou se crisper. Or la raison incite à tendre la main et à montrer l’exemple.
Au final, c’est en comprenant la guerre qui a lieu à l’intérieur de lui-même que l’Homme pourra trouver le chemin de la paix dans le monde. Comprendre, c’est déjà lâcher prise. C’est déjà établir la paix en soi.
La guerre sainte la plus méritoire est celle qu’on fait à ses passions.
Proverbe arabe
Conclusion sur la guerre en philosophie
La guerre est l’oubli que nous formons un seul peuple, une seule humanité. Elle est une insulte à la raison, et à ce titre elle est toujours une défaite.
La guerre nous renvoie à nos propres responsabilités, au-delà de l’illusion que l’autre a toujours tort. Un conflit n’éclate jamais par hasard, il est donc essentiel d’en comprendre les causes, y compris les causes lointaines, et de se remettre en question.
Marcher vers la paix nécessite d’abord de se pacifier soi-même, de maîtriser ses instincts et ses pulsions. C’est, à chaque instant de notre vie, tenter de comprendre plutôt que montrer du doigt. C’est faire preuve de mesure, d’équilibre et de diplomatie. C’est aller vers l’autre, l’aider plutôt que l’abandonner à son sort.
La fraternité passe donc par un combat intérieur : c’est le seul combat qui mérite d’être mené.
Quelques autres citations sur la guerre
La compétition marque le début de toutes guerres. Quand on éduquera pour la coopération et pour nous offrir les uns les autres de la solidarité, ce jour-là alors on éduquera à la paix.
Maria Montessori
Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage.
Jean Jaurès
La Paix est le seul combat qui vaille la peine d’être mené.
Albert Camus
Rien ne justifie la guerre, jamais.
René Barjavel
Il n’y a pas de plus grande infortune que de croire avoir un ennemi.
Tao Te King 46
Question : La guerre n’est-elle pas parfois la dernière chance d’obtenir la paix ?
Réponse : Croire que la paix puisse s’obtenir par la violence, c’est sacrifier le présent à un idéal futur ; et cette recherche d’une fin juste par des moyens faux est une des causes du désastre actuel.
Jiddu Krishnamurti
Aucun ordre moral ne peut être obtenu par la force et par violence, car toute violence engendre inévitablement la violence. Dès que vous avez recours aux armes, vous créez un nouveau despotisme. Au lieu de le détruire, vous le perpétuez.
Léon Tolstoï
Les armes sont les instruments de la violence ;
tous les hommes honnêtes les détestent.
Les armes sont les instruments de la peur ;
un homme honnête les évitera
sauf en cas d’extrême nécessité,
et, s’il y est forcé, ne les utilisera
qu’avec la plus grande retenue.
La paix est sa plus haute valeur.
Si la paix est brisée,
comment peut-il être satisfait ?
Ses ennemis ne sont pas des démons,
mais des êtres humains comme lui.
Il ne leur souhaite pas de mal personnellement
ni ne se réjouit dans la victoire.
Comment pourrait-il se réjouir dans la victoire
et trouver plaisir dans le massacre des hommes ?
Il entre dans la bataille gravement,
avec tristesse et grande compassion,
comme s’il se rendait à des funérailles.
Tao Te King 31
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Modif. le 21 mai 2024