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La franc-maçonnerie est-elle née en Ecosse ?

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La franc-maçonnerie est-elle née en Ecosse ou en Angleterre ? Où ont été créées les premières loges maçonniques ? Comment se sont-elles développé outre-Manche ?

A partir de la toute fin du XVIe siècle, alors qu’Angleterre et Écosse ne sont pas encore unies par le règne des Stuart, le métier de maçon bénéficie en Ecosse d’une organisation différente de celle de l’Angleterre.

William Schaw (1550-1602), maître des travaux du roi Jacques VI d’Écosse, le futur Jacques Ier d’Écosse et d’Angleterre, avait en effet organisé dès 1598 les loges de maçons écossais sur une base territoriale, alors que les loges anglaises, affectées à chaque chantier, naissaient et mouraient au rythme des constructions. Il leur avait en outre imposé de tenir soigneusement leurs archives.

C’est ainsi que l’on peut suivre l’existence des loges d’Écosse (Édimbourg, Kilwinning, Aberdeen et bien d’autres) tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, alors qu’il n’existe que peu d’éléments sur les loges d’Angleterre.

Cette organisation territoriale est l’un des éléments clés qui permettent d’acter la naissance de la franc-maçonnerie en Ecosse. A ce titre, William Schaw a joué un rôle majeur. Mais dire cela n’est pas suffisant.

Voyons si la franc-maçonnerie est réellement née en Ecosse.

Cette organisation si particulière des loges en Ecosse, territoriale, a eu un autre effet sur la naissance de la franc-maçonnerie.

Composées de tous les maîtres maçons d’une région géographique, de tous les compagnons du métier, indépendants (freemasons) ou employés par un maître, et de tous les apprentis, se réunissant régulièrement au même endroit, ces loges eurent l’idée d’inviter à leurs travaux des gentilshommes qui pouvaient leur être utiles.

Ainsi, à partir de 1634, neuvième année du règne de Charles II Stuart, roi d’Angleterre et d’Écosse, les gentilshommes furent acceptés comme compagnons ou maîtres dans les loges d’Écosse en un flot régulier, quoique d’abord ténu. On en recense dix sous le règne de Charles Ier Stuart, de 1625 à 1649, puis trente-trois sous le règne effectif de Charles II Stuart, de 1662 à 1685, et trois fois plus sous le règne puis l’exil de Jacques II Stuart, entre 1685 et 1717. On a coutume d’appeler ces gentilshommes « francs-maçons acceptés » ou « non-opératifs ».

Une évolution encore plus marquante, essentielle, se produisit en Écosse au cours de cette époque : il se constitua des loges non opératives, c’est-à-dire composées en majorité ou en totalité de gentilshommes n’appartenant pas au métier de maçon.

A la fin du XVIIe siècle, on comptait ainsi, parmi les vingt-huit loges d’Écosse, six loges n’ayant plus rien à voir avec la réalité des métiers de la construction : Dunblane, Hamilton, Kelso, Haughfoot, Aberdeen et Dumfries.

Leurs archives montrent qu’elles ne fonctionnaient pas du tout comme des loges de maçons de métier. En effet, l’usage y était d’opérer le même jour la réception comme apprenti et le passage à compagnon de métier, ce qui est totalement contraire aux usages des loges opératives qui se fondaient sur sept ans d’apprentissage.

A titre d’exemple, au cours d’une tenue de Dunblane, quatre gentilshommes furent reçus apprentis puis passés compagnons après avoir été interrogés entre-temps sur des connaissances qui, dans ces conditions, ne pouvaient être techniques, mais bien symboliques.

Le manuscrit Dumfries n°4, découvert dans les archives de la loge de Dumfries, qui date des environs de 1700 et semble avoir été beaucoup utilisé, est l’un des deux anciens devoirs à s’adresser non plus au maçon de métier, mais au franc-maçon, mot qu’il utilise plusieurs fois. On y parle délibérément à celui qui « entre dans l’association pour agrandir ou satisfaire sa curiosité », et l’accent y est déjà porté sur le symbolisme : « D’abord qu’il apprenne ses questions par cœur, puis ses symboles, et ensuite on fera comme la loge le juge convenable ».

Les trois piliers que sont l’Équerre, le Compas et la Bible y sont déjà vécus symboliquement : la maçonnerie est « un travail d’équerre » et le franc-maçon doit user de « l’ordre du compas » dans son comportement.

Il apparaît ainsi clairement que l’on ne doit pas faire remonter la naissance de la franc-maçonnerie symbolique et spéculative à la création de la Grande Loge de Londres en 1717, mais bien trente ans plus tôt en Écosse.

Samuel Prichard, membre probable de la Grande Loge de Londres, date lui-même la naissance de la franc-maçonnerie en 1691 dans sa célèbre divulgation de 1730, Masonry Dissected : « Le nom de Maçonnerie Franche et Acceptée (tel que nous le connaissons aujourd’hui) n’avait pas encore été entendu jusqu’à ces quelques dernières années ; on n’y parlait ni de loges constituées ni de communications trimestrielles jusqu’à 1691, quand des Seigneurs et des Ducs, des Hommes de Loi et des Boutiquiers, et d’autres petits métiers, sans excepter les porteurs, furent admis dans ce Mystère.»

Pourtant, James Anderson et Jean Théophile Desaguliers ne parleront jamais de ces loges non opératives et symboliques d’Écosse, ni dans la partie historique des Constitutions de la Grande Loge de Londres en 1723 ni dans les Constitutions de 1738 qui contiennent une relation détaillée de la création de cette Grande Loge. Et pourtant, le père du pasteur Anderson, un vitrier prénommé lui aussi James, fut deux fois vénérable de la loge de francs-maçons non opératifs d’Aberdeen, en Ecosse…

Bien au contraire, le pasteur Anderson écrit : « Jacques II Stuart n’étant pas un frère maçon, l’Art fut négligé […]. Les loges de francs-maçons étaient tombées dans l’ignorance, insuffisamment fréquentées et soutenues sous le règne de Jacques II ». Cette omission par le pasteur Anderson est délibérée, et répond à des critères politiques et religieux, à cette époque où le Parlement anglais, protestant, soutient la dynastie protestante des Hanovre contre celle des Stuart, catholiques depuis le roi Jacques II.

Les sermons du pasteur Anderson sont explicites à ce sujet : il se place clairement du côté protestant. A cet égard, la création de la Grande Loge de Londres s’inscrit dans le contexte d’une reprise en main politique. En effet, parmi la centaine de gentilshommes francs-maçons écossais vivant en 1717, une majorité relative est fidèle aux Stuart.

En 1714, George Ier de Hanovre est porté sur le trône britannique par le parlement protestant. Après avoir maté en 1715 à Sheriffmuir le soulèvement militaire des partisans de Jacques III Stuart, appelés « jacobites », et avoir assuré sa prédominance dans les parlements nationaux par le Septennial Act en 1716, George Ier s’attaque en 1717 au contrôle de la société civile, en particulier la Royal Society et la franc-maçonnerie. Ses partisans créent une Grande Loge.

On ne s’étonnera donc pas que, quelques jours avant la Saint-Jean d’été 1722, la toute nouvelle Grande Loge de Londres se rende en délégation auprès de lord Townshend, secrétaire d’État, pour « l’assurer de son zèle envers la personne de Sa Majesté et son gouvernement ».

Rien d’étonnant, dans ce cas, que la paternité de la création de la franc-maçonnerie ait été revendiquée par les Anglais au détriment des Ecossais. Le contexte politique, extrêmement tendu à cette époque, y est pour beaucoup.

Il faut toutefois reconnaitre l’apport des Anglais dans la création de la franc-maçonnerie telle que nous la connaissons aujourd’hui, organisée en obédiences.

La notion même de Grande Loge et de Grand Maître est une invention de 1717. Même les chartes Saint-Clair, documents exprimant la confiance de nombreuses loges en William Sinclair of Rosslyn en 1601, puis en son fils en 1628, ne parlent pas de Grand Maître mais de Patron et Protecteur, ou de Patron et Juge, ou encore de Contrôleur.

En réalité, l’organisation de la franc-maçonnerie anglaise en une première « obédience » à partir de 1717 est un moyen pour le pouvoir central d’assurer sa main mise sur la franc-maçonnerie. Le système est en effet verrouillé par la Grande Loge de Londres à la Saint-Jean d’été 1720 : le futur Grand Maître sera désormais proposé pour approbation par son prédécesseur, et nommera lui-même son député Grand Maître et les surveillants.

Alors qu’on ne retrouve avant 1723 aucun texte interdisant aux loges écossaises, et a fortiori aux loges temporaires anglaises, de se créer sans autorisation de quiconque, à partir de 1723 on ne pourra plus constituer de nouvelle loge ou initier un franc-maçon sans une patente signée du Grand Maître.

C’est aussi avec la Grande Loge de Londres que naît l’interdiction de parler de politique ou de religion en loge. Il n’en est nullement question dans les minutes ou règlements des loges non opératives écossaises de la fin du XVIIe siècle. On peut d’ailleurs difficilement imaginer qu’ils n’en parlaient pas, alors que les conflits, politiques et religieux à la fois, s’exacerbaient, jusqu’à évincer le roi Jacques II Stuart et que, sur les six loges de gentilshommes en Écosse, deux sont composées de jacobites totalement investis dans la défense des Stuart, y compris par les armes, et deux entièrement composées de whigs résolus qui prendront aussi les armes.

Cette interdiction apparaît dans les Constitutions de 1723, à l’article 6 des Obligations : « Aucune querelle à propos de religion, de nation [comprendre Écosse et Angleterre], de politique de l’État… » et à l’article 2 : « Un maçon est un sujet paisible des pouvoirs civils … ».

Entre les lignes, cela signifie : soyez bien sages, obéissants envers le gouvernement whigh et le roi George Ier de Hanovre, et surtout ne parlez ni d’Écosse ni de catholicisme…

Lire aussi : Les origines de la franc-maçonnerie en France

Modif. le 20 avril 2025

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