L’Evangile de Jean : quelle origine et quelles caractéristiques ? en quoi consiste l’enseignement de saint Jean ? pourquoi cet évangile est-il si particulier ?
L’enseignement du quatrième Évangile débouche sur un message caché inattendu. Plus encore que les autres Évangiles, l’Evangile de Jean ouvre une réflexion qui représente un sommet de l’appréhension des mystères de l’Esprit.
Fidèle à une grande tradition primitive, le message de Jean rapporte ce qui est arrivé depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’au jour de la résurrection du Christ. La compréhension de cet Évangile, à la fois tragédie divine, drame humain et élévation mystique, exige que l’on prenne en compte le climat qui a présidé à la confection du message.
Entrons dans les secrets de l’Evangile de Jean.
Aux origines de l’Evangile de Jean
Initialement, l’Évangile de Jean a été rédigé pour les communautés chrétiennes d’Asie, lieu de prédilection de la recherche intérieure.
La pensée de saint Jean présente des affinités avec la pensée hellénique, et pas uniquement parce que son Évangile a été rédigé dans la langue grecque. Certaines expressions, certains thèmes, l’intérêt marqué pour tout ce qui concerne la Connaissance et la Vérité, le fait de désigner le Christ par le Logos (la Parole), l’emploi de l’allégorie, tout donne à penser que Jean était imprégné de cette pensée grecque.
Par ailleurs, le mouvement gnostique prit naissance à une époque où s’affrontaient les traditions grecque, égyptienne, judaïque, perse et hindoue. Même si ce mouvement fut considérablement minimisé dans l’histoire des premiers siècles du christianisme, nous savons que la gnose se présentait comme un enseignement ésotérique amenant ses initiés à s’ouvrir au salut par la connaissance des « grandes vérités ». De nombreux évangiles gnostiques, découverts il y a quelques décennies en Égypte, font mieux voir l’originalité de la foi chrétienne, et permettent également d’opérer des rapprochements certains avec l’enseignement de Jean.
En outre, on peut reconnaître le caractère fortement judaïque de l’Évangile de Jean : on y trouve une parenté frappante des idées qu’il développe avec celles que l’on trouve dans les manuscrits de la mer Morte, ainsi que l’importance des réminiscences de l’Ancien Testament.
La découverte des manuscrits de la mer Morte en 1947 nous a fait connaître une des sectes juives de l’époque de Jésus : les Esséniens, la secte de Jean le Baptiste. Il y eut des contacts certains entre ces derniers et l’Évangéliste, témoin le dualisme, marqué par l’opposition entre Lumière et ténèbres, Vérité et mensonge. Cette secte rigoriste possédait un idéal fait de bonté, de vertu, de justice, mais aussi d’ascèse et d’humilité, en somme un idéal de ferveur spirituelle.
Jean se situe donc au carrefour de bien des influences culturelles et spirituelles qui ont nourri sa réflexion. Si son évangile se veut un témoignage (I : 19, 34), il représente surtout la somme de la réflexion d’un initié qui, nourri des idées de son temps, a repensé avec une grande profondeur le mystère du Christ.
Cependant, cet enracinement dans le milieu chrétien de l’époque n’a pas empêché Jean de composer une œuvre profondément originale, longuement mûrie, libre à l’égard des divers courants d’alors. On peut donc affirmer que son Évangile représente le terme d’une évolution spirituelle achevée.
L’enseignement de Jean
Si nous entrons dans l’étude de l’Evangile de Jean et de son enseignement, on constate d’emblée que Jean nous présente Jésus comme « le Révélateur », « le Verbe », « la Parole », par qui la Lumière luit dans les ténèbres (I : 5), cette Lumière véritable qui éclaire tout homme (I : 9).
Le Prologue décrit, au moyen de phrases courtes et rythmées, à la manière d’un poème épique, la venue en ce monde du Logos. On peut y voir une insistance pédagogique, à savoir que l’homme offre une épaisseur certaine aux rayons divins, et n’est donc pas capable d’atteindre par lui-même la Vérité totale.
Le recours au symbolisme de la Lumière est une reprise du récit ancien de la Création. Jean fait un usage impressionnant de ce symbole, non seulement dans le Prologue mais encore dans le corps de son œuvre, et fait même allusion au passé, en mentionnant la Lumière dont le Baptiste fut le témoin (I : 7).
Tenant compte des enseignements de ses prédécesseurs, Jean leur donne une orientation nouvelle : ce qui éclairait le chemin menant à Dieu était représenté par la Loi, la Sagesse et la Parole ; la Lumière leur est maintenant substituée. Ainsi, la Lumière devient symbole de vie, de bonheur, de joie, par opposition aux ténèbres, qui sont symbole de mort, de malheur, de larmes.
L’Église primitive avait élaboré une spéculation théologique à partir des symboles ; Jean leur donne une signification et une fonction propres. Lumière et Vie sont pour le Verbe les portes d’accès au monde qu’il a créé. La Vie est le terme générique dont la Lumière spécifie la fonction ; point de Vie sans Lumière, la Vie acquiert un sens grâce à la Lumière ; le Logos est l’un et l’autre.
Du thème de la Lumière, Jean passe tout naturellement à celui de la Vérité. C’est ainsi que Jésus déclare aux Pharisiens : « Je suis la lumière du monde » (VIII : 12), puis à Thomas « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ».
Dans l’Évangile de Jean, le mot « Lumière » est cité vingt-trois fois, et « Vérité » revient vingt-cinq fois. En d’autres termes, pour que son message aboutisse à un engagement d’existence, l’Évangéliste recourt à des notions déjà chargées d’un contenu spirituel pour les transformer en vecteurs puissants porteurs de sa pensée personnelle.
Jean énonce ensuite son troisième et dernier grand thème : la Vie. Au niveau du contenu lexical, le substantif « Vie » revient trente-six fois, le verbe « vivre » comporte dix-sept occurrences, et l’expression « faire vivre » est reprise trois fois.
L’originalité du message johannique ne fait, dès lors, plus aucun doute. En se tournant vers l’œuvre créatrice de Dieu exprimée par la Genèse, Jean n’y reconnaît pas seulement la Lumière (à noter que l’origine indo-européenne du mot « dieu » est « brillance ») mais aussi la Vie.
La vie, mystère et bien suprême, représente une valeur ancrée dans la conscience de tout homme. Elle fait partie de lui-même et offre un champ de réflexion à l’être religieux ou, plus simplement, humain. Pour Jean, comme le vent, l’eau, le pain, la lumière, la Vie était susceptible de sublimation dans laquelle l’élément terrestre serait absorbé par le céleste, et où la matérialité de sa signification n’aurait plus de sens qu’en vertu d’un Au-delà.
L’Evangile de Jean : une composition particulière
Nous avons vu que Jean, dans son Évangile, avait fait oeuvre originale au plan de la pensée. On peut le constater même au niveau de la présentation générale. Ainsi, dans le Nouveau Testament, on a coutume de parler des quatre Évangiles. En fait, on remarque qu’il y a, d’une part, trois synoptiques, les Évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc, qui ont en commun 330 versets. D’autre part, il y a l’Évangile de Jean, qui offre la particularité de n’avoir aucun verset commun aux trois autres. Tant et si bien que certains spécialistes n’ont pas hésité à définir l’Évangile de Jean comme marginal.
En effet, si Jean reste fidèle à la conception d’ensemble d’un Évangile, il se distingue des synoptiques par bien des points. On y décèle des différences d’ordre géographique, chronologique, stylistique et même discursif. Les procédés de composition sont également différents.
Comportant 21 chapitres, l’ouvrage se divise en deux grandes parties précédées d’un Prologue d’une grande solennité, mais se présente comme une succession d’épisodes construits sans rigueur apparente. Malgré cela, il atteint, à certains moments, une grande intensité dramatique.
Nous l’avons vu, Jean parle de la Vie, il présente des thèmes centraux comme le Monde, la Lumière opposée aux ténèbres, la Vérité opposée au mensonge, la Gloire de Dieu. Il connaît la Tradition et s’applique à la retravailler. Ce faisant, il le fait avec plus d’assurance et plus de liberté que ses prédécesseurs. Pour lui, la fidélité à la Tradition consiste à saisir et à exprimer en profondeur la portée des événements qui surviennent en la personne de Jésus.
Si, comme Marc, Jean reconnaît l’humanité de Jésus (sa fatigue lors de son arrivée au puits de Jacob [IV : 6], sa soif [IV : 7], son trouble [XIII: 21]), il a le souci du détail du temps en plus de celui des lieux : André et son compagnon rencontrent Jésus à 4 heures de l’après-midi (I: 40-42), Nicodème vient voir le Maitre à la nuit (III: 2), la Samaritaine se rend au puits de Sychar à midi (IV: 6-7).
Si Matthieu relie Jésus à Abraham et si Luc le relie à Adam, Jean remonte directement à la Création : « Au commencement était le Verbe » (I: 1). Si Marc, Matthieu et Luc décrivent le retour du Christ au moyen de grandioses images, Jean les simplifie et les réduit à leur plus simple expression : « Les morts entendront la voix du Fils de Dieu » (V: 25).
Jésus et les marchands du Temple
Afin de bien voir la différence entre les synoptiques et l’Évangile de Jean, prenons un exemple concret, l’épisode des vendeurs chassés du Temple. Matthieu lui consacre 8 versets (XXI: 10-17) et décrit l’accueil fait à Jésus par les Juifs à Jérusalem ; le passage est brièvement évoqué, la colère de Jésus est purement verbale. Il en est de même chez Marc, qui lui consacre 5 versets (XI: 15-19). Chez Luc, enfin (XIX : 45-48), l’épisode est à peine esquissé, la colère de Jésus n’est pas mentionnée, et la vengeance des prêtres est décrite, ainsi que leur projet de mise à mort du Maître.
Jean en fait l’analyse en 10 versets (II: 13-22). D’abord, il situe l’épisode dans le temps (la Pâque juive, en l’an 28) et l’espace (Jérusalem). Il décrit les animaux destinés au sacrifice et mentionne les agents de change chargés de monnayer les offrandes. La colère de Jésus est grande (il fait un fouet avec des cordes, chasse hommes et bêtes, disperse les monnaies et renverse les tables), le ton monte. La phrase « Ma maison sera appelée maison de prière et vous en faites un repaire de brigands », commune aux synoptiques, devient chez Jean : «Ne faites plus de la maison de mon Père une maison de commerce ». La nuance est significative : le Temple n’est pas seulement un lieu de prière, il constitue un patrimoine spirituel. Cette précision apporte au texte une valeur spécifiquement symbolique. En dernier lieu, Jean s’abstient de tout jugement subjectif : le « repaire de brigands » devient plus simplement « une maison de commerce ».
Si le récit s’arrête là pour les synoptiques, Jean le prolonge sur un plan symbolique profond : « Le zèle pour ta maison me dévorera. Alors les Juifs intervinrent et lui dirent : Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? Jésus leur répondit : Détruisez ce sanctuaire ; en trois jours je le relèverai. Les Juifs lui répliquèrent : Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire et toi, tu le relèveras en 3 jours ?. Mais lui parlait du sanctuaire de son corps» (II : 17-21).
Nous sommes ici au cœur de la méthode johannique. Nous assistons à l’intellectualisation du geste, l’acte tend vers la réflexion, le mouvement symbolique suscite l’enseignement : une allusion discrète est faite à la résurrection du Christ ; l’humanité de Jésus est le lien de la présence et de la manifestation divines parmi les hommes ; le Maitre est le Temple.
Le vocabulaire particulier de l’Evangile de Jean
Par ailleurs, si nous examinons le vocabulaire utilisé par Jean, on verra la distance qui sépare son Évangile de celui des synoptiques. Dans ces derniers, on rencontre fréquemment les notions suivantes : le Démon, la Puissance, la Pitié ou avoir pitié, la Prière ou prier. Chez Jean les notions récurrentes concernent l’Amour (Agapè) et Aimer (Philein), la Lumière, la Vérité ainsi que vrai, véridique, la Connaissance ainsi que connaître (Gnosis, Gignoskein), le Monde (Kosmas), la Vie (Zoè).
La langue de l’Evangile de Jean n’est pas une forme accessoire dans laquelle il coule sa pensée, il en fait une sorte de transformateur du message de Jésus à ses auditeurs.
L’Evangile selon saint Jean : un message profond
À partir de l’étude interne qui vient d’être menée, on peut distinguer six points clés qui font de l’Évangile de Jean un message particulier :
- La Connaissance (citée 56 fois dans l’œuvre) ne s’acquiert ni par le savoir ni par la raison. Il s’agit d’une réalité métaphysique à laquelle nous parvenons par un travail intérieur. Pour cela, nous devons mettre en œuvre tout notre potentiel humain, à savoir : culture, intelligence, intuition, affectivité, ardeur.
- L’Amour (également cité 56 fois) : Jean ne cesse de souligner que c’est l’Amour seul qui donne tout son sens à l’œuvre de Jésus. Il n’est jamais stérile et constitue le summum de l’élévation spirituelle, bien plus que la prière.
- La Fidélité envers le Maître doit être l’objet d’un véritable culte. Jean a toujours suivi le Maître, même au pied de la Croix. En signe de confiance, le Maître lui a confié sa mère avant de mourir.
- L’Humilité est une autre composante de l’enseignement johannique. Quand on est investi de la confiance d’un Grand Initié, quand on a le pouvoir de réaliser une œuvre de libération universelle, on pourrait être tenté d’en tirer quelque gloire. Jean, lui, n’inscrit même pas son nom dans son Évangile, se présentant sous la simple appellation de « disciple que Jésus aimait » (XXI: 20).
- Le Travail et le sens du Devoir sont une autre composante de l’Evangile de Jean. Jean a composé une œuvre souverainement libre à l’égard des courants susceptibles de l’influencer, à l’issue d’une longue maturation qui fait sa sobriété et sa profondeur. Jean avait constamment à l’esprit le souci de renforcer chez les disciples le sentiment de leurs Devoirs envers le Maître.
- Le Symbolisme est à la base de l’enseignement johannique. Les images qu’il suscite deviennent un guide intérieur, et son message est une invitation à la méditation, qui favorise le cheminement spirituel.
Dans l’Evangile de Jean, tout y est dit de façon à la fois simple et complexe. On y trouve un côté merveilleux, accessible directement grâce à des images frappantes qui parlent à l’entendement : le pain, l’eau, la vigne, la Lumière.
Mais la progression des idées n’est pas linéaire, elle se fait en spirale, c’est-à-dire qu’il y a un approfondissement constant, ce qui est la caractéristique d’une œuvre ésotérique. On ne peut découvrir le message profond qu’au prix d’un effort permanent de travail sur le texte nourri par la réflexion intérieure, qui est le propre d’une démarche personnelle.

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Modif. le 28 février 2025