Etienne Morin et la genèse du Rite écossais ancien et accepté : éléments et repères historiques. Quel rôle Etienne Morin a-t-il joué précisément dans la création des Hauts grades du REAA ?
Etienne Morin fait partie de l’histoire légendaire du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA). Né vers 1717 à Cahors (Lot) et décédé en 1771 à Kingston (Jamaïque), il est connu pour le rôle central qu’il a joué dans la création du REAA.
En effet, en 1761, Etienne Morin obtient une patente délivré par le « Conseil des Empereurs d’Orient » et par les Maîtres Parisiens de la première Grande Loge de France, afin de diffuser les Sublimes degrés (comprendre les degrés qui vont au-delà du 3ème degré) sur les territoires du nouveau monde.
Il part alors vers Saint-Domingue en Jamaïque pour y faire commerce ; en 1763, il reçoit les statuts et règles arrêtés par quatorze Commissaires de la Grande Loge de France. Il les adapte pour organiser le « Rite du Royal Secret » appelé aussi Rite de Perfection qui s’établit en 25 degrés.
C’est ainsi que les Hauts Grades sont nés aux Amériques, bien que le germe soit apparu en France au cœur la première Grande Loge. En réalité, en implantant aux îles le système de la maçonnerie parisienne des années 1760, Etienne Morin a assuré, selon les historiens de la maçonnerie, la survie de ce témoin de l’âge d’or des Hauts grades.
C’est plus tard à partir des Antilles via l’Amérique, que quelques Maçons le ramenèrent en 1804, où il avait disparu depuis bien longtemps, sous le nom de Rite Écossais Ancien et Accepté.
Mais au fait, qu’est-ce qu’un rite, et comment définir le REAA ?
Définition du Rite Ecossais Ancien et Accepté
Au préalable, rappelons qu’il n’existe pas en franc-maçonnerie de grade supérieur au troisième degré, celui de Maître maçon. Un des principes fondamentaux de la « régularité maçonnique » est que tous les maîtres maçons soient placés sur un pied d’égalité, sans considération de position sociale ou d’appartenance à d’autres degrés maçonniques.
C’est la raison pour laquelle les degrés après le troisième doivent être considérés comme des grades d’instruction ou de perfectionnement, et non comme des grades impliquant un pouvoir particulier dont pourrait se prévaloir un Maître maçon pour se prétendre au-dessus des autres.
Point important : Il ne faut pas confondre Écossisme et Rite Écossais Ancien et Accepté. Le premier est l’ensemble des grades au-delà de celui de Maître.
Qu’est-ce qu’un rite ?
Avant d’en revenir à Etienne Morin et son rôle dans la création du REAA, rappelons qu’un rite est une pratique sociale codifiée dans un rituel de caractère sacré ou symbolique, destinée à susciter l’engagement émotionnel des participants.
Désignant un ensemble d’usages réglés par la coutume ou par la loi, le mot rituel s’applique aussi bien au domaine religieux qu’aux manifestations civiles ou politiques. En d’autres termes, on peut dire que le rite transforme alors que le rituel confirme. Un rite sert de ciment à une communauté. La participation répétée à un rite marque l’appartenance à la communauté concernée.
Apparus avec les loges spéculatives, les « rites » ont été mis en place afin d’uniformiser et d’harmoniser les pratiques en loge. Inspirés par les traditions antiques ou opératives et par la Bible, les rites prescrivent les gestes, le langage, les déplacements et les attitudes au travers de leurs rituels.
La diversité des rites et rituels en franc-maçonnerie
Malgré un idéal commun, les francs-maçons ne conduisent pas tous leurs travaux de la même manière. Dès la moitié du XVIIIe siècle, on assiste notamment à la querelle des Ancients et des Moderns au sein de la franc-maçonnerie anglaise. Différents rites apparaissent et se développent. Une loge ou un atelier pratique en général un seul et même rite, alors qu’une obédience maçonnique peut en observer plusieurs.
Même s’il est aujourd’hui impossible de recenser l’ensemble des rites, on note que seule une demi-dizaine est majoritairement pratiquée.
Au XVIIe siècle, les rituels maçonniques n’étaient pas censés être écrits et n’étaient jamais imprimés. Ils ne sont connus de nos jours que grâce à un très petit nombre de notes manuscrites ayant échappé à la règle et au temps, ainsi que par quelques anciennes divulgations. Les plus anciens rituels maçonniques connus remontent aux toutes dernières années du XVIIe siècle et aux deux premières décennies du XVIIIe.
L’étude des documents montre qu’ils évoluèrent assez considérablement au fil du temps. Les cérémonies étaient au départ très simples et courtes. Au XVIIIe siècle, après la réorganisation des pratiques consécutives à la fondation des premières grandes loges, les Ancients et les Moderns pratiquent de nouveau des rituels assez similaires.
Cependant, dès les années 1740, on voit apparaître de nouvelles divergences. A côté des rituels traditionnels des trois premiers degrés paraissent plusieurs centaines de rituels de degrés additionnels dits de « Hauts grades » dont beaucoup n’étaient en fait que des variantes les uns des autres. Cette multiplication des rituels maçonniques aboutit à diverses initiatives visant à normaliser les pratiques et à les rassembler en ensembles cohérents et stables.
Aujourd’hui les rites maçonniques les plus répandus à travers le monde sont :
- le Rite Écossais Ancien et Accepté, fondé officiellement en 1801 à Charleston (Caroline du Sud) à partir de rituels d’origine française. C’est le plus pratiqué en Europe par les loges symboliques, auxquelles s’ajoutent plusieurs milliers d’ateliers de hauts grades dans le monde,
- le Rite d’York aux États-Unis,
- le Rite Émulation, au Royaume-Uni et dans les anciennes colonies britanniques,
- le Rite Français, en France, au Brésil et en Europe continentale,
- le Rite standard d’Écosse, rite officiel proposé par la Grande Loge d’Écosse, présent pratiquement sur tous les continents. Il trouve ses origines dans les premières loges écossaises comme Mary’s Chapel (loge n°1), dont le plus ancien procès-verbal date de 1599. Le mot standard signifie ici « traditionnel » ou « commun » car chaque loge en Écosse a sa propre particularité.
Etienne Morin : éléments biographiques
Né vers 1717 dans la région de Cahors (Quercy, actuellement Lot), Etienne Morin était négociant et travaillait principalement entre Bordeaux et les Antilles. On ne connaît les origines d’Étienne Morin que par la description qui en fut notée en 1762 dans un registre de l’Amirauté de Guyenne : « Âgé de 45 ans, de taille moyenne, cheveux noirs, portant perruque, natif de Cahors ». Tous les auteurs sont d’accord pour en faire un négociant en porcelaine.
Que Morin ait été négociant en porcelaine ne doit pas surprendre. En effet, du XVIe au XVIIIe siècle, la porcelaine était au moins aussi appréciée que l’or. Le parcours qui conduisit Morin à s’embarquer de Bordeaux vers les Antilles est donc classique. Au début des années 1740, il semble s’être établi à Fort-Royal, actuelle Fort-de-France.
On ne sait pas à quelle date ni dans quelle loge il fut initié à la franc-maçonnerie. Mais en janvier 1744, il reçoit de William Matthews, gouverneur général des îles anglaises du Vent, l’un des plus anciens hauts grades maçonniques puisqu’il est alors « initié aux mystères de la Perfection écossaise », selon les termes de l’époque, avec le « grade de la Voûte Royale » (en anglais Royal Arch).
Et c’est à Bordeaux qu’Étienne Morin, dès avril 1744, fonde la Loge « La Parfaite Harmonie ». Cette dernière essaimera bientôt à Toulouse, Montpellier, Marseille, Avignon, sans oublier les îles de Saint-Domingue et de la Martinique.
C’est aussi l’année où Louis XV déclare la guerre à l’Angleterre et à l’Autriche. Morin, capturé en mer par les Anglais début 1745, est débarqué à Londres, où suivant les usages de l’époque, il jouit d’une relative liberté. Il y reçoit le 25 juin, juste avant son retour en France, confirmation de la régularité de son initiation aux Hauts grades de janvier 1744 ainsi que des « constitutions » l’autorisant à diffuser ces grades.
Le 8 juillet 1745, de retour à Bordeaux, il ouvre aussitôt la loge écossaise des Élus Parfaits de Saint-Jean d’Écosse qui fut le premier atelier des Hauts grades créé en France. Il reprend ensuite ses voyages d’affaires entre la France, les Antilles et la Grande-Bretagne.
En 1748, il participe à la fondation d’une loge écossaise dans la ville de Cap-Henri, aujourd’hui Cap-Haïtien à Haïti.
Puis on le retrouve à Paris en 1761 parmi les animateurs de la première Grande Loge de France. Il est membre du Grand Conseil des Chevaliers Kadosh, cercle interne des dirigeants de la Grande Loge de France. Le début de la décennie 1760 marque donc un tournant capital dans l’évolution du Système Écossais. Ce qui va devenir le « Système Écossais dit de Perfection » n’est, en fait, qu’une transcription des usages maçonniques parisiens de l’époque.
Le 27 août 1761, Morin y reçoit une patente signée des officiers le nommant « Grand Inspecteur pour toutes les parties du Monde ». L’original de cette patente n’a jamais été retrouvé, mais on la connaît par des copies plus tardives.
Il rembarque à Bordeaux pour Saint-Domingue le 27 mars 1762, mais est de nouveau capturé en mer par les Anglais et reconduit à Londres. Il y rencontre Washington Shirley, comte de Ferrers, qui accepte sa patente et l’étend à l’inspection des loges britanniques des Antilles. Installé à Saint-Domingue à partir de 1763, Étienne Morin reçoit les statuts et règles arrêtés par quatorze Commissaires de la Grande Loge de France. Sur cette base, il construit un véritable « rite écossais », dont il rédige les rituels en collaboration avec un assistant hollandais du nom de Henry Andrew Francken.
Etienne Morin et la genèse du Rite écossais ancien et accepté
Etienne Morin détermine avec précision une hiérarchie de 25 grades, superposant aux 3 grades symboliques les 22 Hauts Grades les plus classiques de la pratique « Maçonnique Française » de l’époque.
Le sommet de la hiérarchie n’est cependant plus le Chevalier Kadosh, comme à Paris en 1761, mais le Sublime Prince du Royal Secret. Si les francs-maçons de l’époque avaient pris l’habitude de dénommer son système « Rite de Perfection », Etienne Morin, lui, le baptisait « Ordre du Royal Secret ».
Il soulignait ainsi l’importance de ce nouveau grade terminal. A partir de 1765 et grâce à la Patente acceptée par le comte de Ferrers, Étienne Morin développe l’implantation de loges aux Antilles et en Louisiane.
C’est à partir de ces loges, de leurs rituels de hauts grades et de la Patente que Morin a délivrée à Henry Andrew Francken que ce dernier transmettra en 1767 à Albany, aux États-Unis, l’ancêtre du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA).
Le 3 juin 1770, un tremblement de terre détruit la ville de Port-au-Prince, contraignant Etienne Morin à gagner Kingston. Il n’emporte avec lui que l’ensemble de ses papiers maçonniques et les quelques effets personnels qu’il a pu sauver. Il y meurt en novembre de l’année suivante.
L’héritage d’Etienne Morin
Etienne Morin est devenu, bien après sa mort, l’un des noms les plus importants de toute l’histoire maçonnique française. Son œuvre fut poursuivie. On connaît ainsi une liste ininterrompue de « députés Inspecteurs généraux », titre bientôt remplacé par celui de « député Grand Inspecteur Général », de 1771 à 1801, année qui vit la fondation, à Charleston (Caroline du Sud), du premier Suprême Conseil du monde des « Grands Inspecteurs Généraux ».
C’est en effet dans cette ville, dans une salle de la Shepeard’s Tavern (aujourd’hui disparue et remplacée par une banque), que fut créé, le 31 mai 1801, ce Suprême Conseil. Il fut fondé par John Mitchell, natif d’Irlande et vétéran de la guerre d’Indépendance américaine, député Grand Inspecteur Général depuis 1795, et Frédérick Dalcho que Mitchell avait élevé à la même dignité le 24 mai 1801.
Dans l’année qui suivit, ils élevèrent au 33e grade sept autres frères pour amener au nombre de neuf membres leur nouvel organisme. En février 1802, ils reçurent également Alexandre-François-Auguste, comte de Grasse-Tilly, et son beau-père, Jean-Baptiste Delahogue. Événement qui ne manque pas d’importance puisque c’est Grasse-Tilly qui ramena en Europe le Rite nouveau, fonda le Suprême Conseil de France en 1804 et contribua à la création de celui de Belgique en 1813.
Sans Etienne Morin, il n’y aurait sans doute pas eu la création d’un Conseil Suprême du 33ème degré et à Paris, sous l’égide du comte Auguste de Grasse-Tilly, celle d’une institution similaire pour la France.
Plusieurs manuscrits de cette époque existent toujours, dont l’un aux archives du Suprême Conseil pour la Belgique certifiée par Grasse-Tilly lui-même. Quant au manuscrit original anglais de la main de Fréderick Dalcho, il est conservé dans les archives du Suprême Conseil de la Juridiction Nord des États-Unis. Le manuscrit français, « légalisé » et signé par Jean-Baptiste Delahogue, est conservé, lui, au Grand Orient des Pays-Bas. Il s’intitule « Copie Originale. Rit Écossais Anc. Et Accepté. 33° degré. Souv. Gr. Inspecteur Général ».
Outre le texte des Grandes Constitutions, il contient également le rituel et l’instruction du grade. C’est cette version, avec quelques variantes, qui sera publiée dans le Recueil des Actes du Suprême Conseil de France en 1832.
Les historiens maçonniques du XIXe siècle et du début du XXe siècle accusaient globalement Étienne Morin d’être l’auteur du Rite de Perfection et d’avoir forgé lui-même la plupart des 25 degrés maçonniques qu’il diffusait. En réalité, les recherches actuelles prouvent qu’Etienne Morin était resté scrupuleusement fidèle aux usages maçonniques transmis à Paris…
Voir aussi : Les 33 degrés du REAA (Rite Écossais Ancien et Accepté).
Modif. le 4 décembre 2023