Épicurisme et bonheur : quelle relation ? En quoi l’épicurisme est-il la philosophie du bonheur ? Qu’est-ce que le bien-vivre selon Épicure ?
L’épicurisme a été fondé par Épicure en 306 avant J-C : c’est l’école du Jardin (du fait qu’elle a été fondée dans un jardin d’Athènes) ou la « philosophie du Jardin » qui repose sur l’éthique du bonheur.
Épicure (341-270 avant J-C) est né sur l’île grecque de Samos ; autodidacte, il s’installe à Athènes à l’âge de 35 ans pour fonder son école. Sa vie nous est rapportée par le témoignage de Diogène Laërce, poète et biographe du IIIème siècle après J-C. Diogène nous a en particulier transmis les Lettres d’Épicure ainsi que les Maximes.
L’épicurisme a dès le départ été mal compris, critiqué et souvent confondu avec l’hédonisme, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Pourtant, l’épicurisme ne vise pas l’atteinte du plaisir maximum.
Sur le plan de la physique, l’épicurisme est un atomisme : selon Épicure, les êtres et les choses sont composées d’atomes invisibles qui s’agrègent et de désagrègent.
Mais nous nous concentrerons ici uniquement sur la dimension éthique de l’épicurisme, qui a profondément marqué l’histoire de la philosophie.
Voyons précisément le lien entre épicurisme et bonheur.
Lire aussi notre article : Le bonheur, définition philosophique.
Épicurisme et bonheur : explication
Le bonheur selon Épicure est principalement exposé dans la Lettre à Ménécée rapportée par Diogène Laërce (cliquez sur le lien pour lire le texte complet).
Dans la Lettre à Ménécée, Épicure :
- définit la philosophie comme une pratique visant à améliorer la santé de l’âme,
- invite à rechercher les causes qui produisent le bonheur, ainsi que les principes du « bien-vivre »,
- dénonce l’incapacité des hommes à approcher la vertu, ce qui maintient le commun des mortels dans l’illusion et la superstition,
- énonce que le bien et le mal résident uniquement dans la sensation de plaisir et de douleur,
- déclare que la mort n’est rien, puisque toute sensation négative s’éteint avec la mort : la crainte de la mort est sans objet,
- déclare que le sage doit rechercher la vie la plus agréable à travers les sensations,
- affirme que la quête du bien-vivre est aussi celle du bien-mourir,
- affirme qu’on ne doit ni compter sur l’avenir, ni perdre toute espérance en l’avenir : il faut instaurer un juste rapport au temps,
- établit une classification des désirs telle que suit :
- Les désirs naturels :
- les désirs nécessaires :
- pour le bonheur (ataraxie),
- pour la tranquillité du corps (absence de douleur physique),
- pour la vie (sommeil, alimentation),
- les désirs uniquement « naturels »,
- les désirs nécessaires :
- Les désirs vains : il s’agit des désirs sont l’assouvissement peut provoquer une souffrance ou des risques futurs,
- Les désirs naturels :
- appelle à trouver un état stable de vie heureuse et agréable, fondé à la fois sur le plaisir raisonnable et sur l’acceptation d’un certain niveau de souffrance, en particulier s’il est inévitable,
- appelle à se contenter de ce que l’on a, ou du strict nécessaire, c’est-à-dire de ce qui permet d’assouvir ses besoins basiques. La recherche de l’opulence peut en effet mener à des difficultés, des inquiétudes ou des déceptions,
- appelle à une sobriété sereine, loin de toute jouissance déréglée,
- invite à un « raisonnement vigilant », permettant de faire les bons choix de vie afin d’éviter le trouble de l’âme, l’inquiétude et la déception : la valeur essentielle est la prudence,
- décrit le destin de chaque être comme dépendant de 3 facteurs :
- la nécessité : c’est l’ordre des choses,
- la fortune : c’est ce qui cause chance ou malchance (ce que le commun des mortels prend pour le malheur et le bonheur),
- notre propre pouvoir : c’est notre capacité à bien raisonner, à juger sainement. C’est pour Épicure le facteur essentiel, supérieur à la fortune, celui qui détermine notre capacité à être heureux,
- affirme enfin que le respect de ces préceptes permet de « vivre comme un dieu » et de toucher à l’immortalité.
Ainsi, Épicure appelle à la libération personnelle vis-à-vis des craintes, des illusions et des superstitions. En effet, le bonheur ne dépend ni de la fortune, ni du pouvoir des dieux. Au contraire, il se construit par l’action et le raisonnement justes.
Qu’est-ce que le bonheur selon Épicure ?
On l’a vu, épicurisme et bonheur sont indissociables.
Pour Épicure, le bonheur réside dans une sensation de plaisir stable, calme, sereine, durable, raisonnable. Le plaisir peut alors être défini comme la source du bien et de la vertu. C’est l’ataraxie : le bien suprême.
Point essentiel : il ne faut pas chercher le plaisir pour le plaisir, car cela aboutirait à des conséquences néfastes. Le luxe est contraire à l’honnêteté et à la justice. La débauche et la luxure sont désordre et font peser des risques sur l’individu.
Il ne faut donc pas confondre bonheur et hédonisme.
D’autre part, la sensation de bonheur n’est pas uniquement liée au plaisir. Elle doit aussi savoir composer avec le malheur ou la souffrance. Ce qui fait dire que la capacité à être heureux vient avant tout de « l’intérieur ».
Le bonheur vient de l’intérieur
Il y a chez Épicure cette idée fondamentale que le bonheur ne peut venir que de l’intérieur, autrement dit de la maîtrise de son propre psychisme. Il ne faut pas attendre le bonheur des autres, des dieux, ou de la fortune. Le bonheur se construit en soi, par une éthique de vie, une capacité à se comporter de manière juste et raisonnable.
Ainsi, le sage sait se détourner de ses illusions. Il n’a pas peur des dieux. Il fuit l’excès. Il sait se maîtriser et ouvrir sa conscience.
Chacun doit trouver en lui le chemin du bonheur, qui peut aller jusqu’à l’ascétisme si cela permet d’expérimenter une sérénité durable.
Le tetrapharmakon : le quadruple remède d’Épicure
L’épicurien Diogène d’Œnoanda (IIème siècle après J-C) fit graver sur un mur de la ville d’Œnoanda une quadruple inscription qui se veut un résumé de la pensée d’Épicure :
- Les dieux ne sont pas à craindre,
- La mort n’est pas à craindre,
- On peut atteindre le bonheur,
- On peut supprimer la douleur.
Cette inscription, aussi appelée le tetrapharmakon ou quadruple remède, éclaire de manière simple la relation entre épicurisme et bonheur.
Elle rappelle les Quatre Nobles Vérités du Bouddhisme : la souffrance, les causes de la souffrance, la possibilité de faire cesser cette souffrance, ainsi que le chemin qui mène à l’extinction de la souffrance.
Épicurisme, bonheur et sensation de bonheur
Pour Épicure, les sensations sont vraies. Il s’éloigne en cela autant de la pensée sceptique que de l’idéalisme platonicien.
Ainsi, pour les épicuriens, le plaisir et la souffrance sont une évidence : ils ont des causes réelles, concrètes.
L’épicurisme est donc un matérialisme : les sensations et idées sont issues de la matière concrète.
Citations sur l’épicurisme et le bonheur
Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. Lettre à Ménécée
Il n’y a pas moyen de vivre agréablement si l’on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice. Lettre à Ménécée
Seul celui qui peut se passer de la richesse est digne d’en jouir. Épicure
La mort n’est rien à notre égard ; ce qui est une fois dissolu n’a point de sentiment, et cette privation de sentiment fait que nous ne sommes plus rien. Maximes
Les biens qui sont tels par la nature sont en petit nombre et aisés à acquérir, mais les vains désirs sont insatiables. Maximes
Le juste est celui de tous les hommes qui vit sans trouble et sans désordre ; l’injuste, au contraire, est toujours dans l’agitation. Maximes
Carpe diem : une formule épicurienne ?
Dans une certaine mesure, la formule Carpe diem d’Horace peut se rattacher au courant de l’épicurisme.
La formule complète, Carpe diem quam minimum credula postero, signifie « cueille le jour présent sans te soucier du jour suivant ». Elle peut être interprétée comme un appel au bonheur et à la sérénité.
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Modif. le 11 mai 2024