L’émerveillement : définition philosophique et spirituelle. Approche à travers l’exemple du moine-poète Ryokan (bouddhisme zen).
S’émerveiller, c’est ne jamais s’habituer.
Christian Bobin
L’émerveillement constitue un des fondements importants de la philosophie et de la spiritualité.
L’émerveillement évoque l’intuition dans le sens d’une évidence ou d’une révélation. Mais ces notions relèvent du domaine de la pensée, ce qui s’écarte quelque peu du sens premier de l’émerveillement.
L’émerveillement se différencie aussi de la contemplation ou de la méditation en ce sens qu’il n’y a nul besoin d’effort, de concentration ou « d’absorption ». En effet, l’émerveillement arrive comme une surprise. Il est spontané, inattendu. Il ne peut être recherché. Il en résulte un état d’étonnement qui se traduit par un sentiment ou une sensation plus ou moins évanescente.
Dans les traditions spirituelles asiatiques, notamment le bouddhisme, l’émerveillement est synonyme d’éveil ou d’illumination : c’est la capacité à comprendre la nature ultime des choses.
Dans son stade ultime, l’émerveillement peut mener à l’ivresse : c’est par exemple, dans le soufisme, l’ivresse de Dieu.
Voici une définition philosophique de l’émerveillement.
L’émerveillement : définition philosophique, religieuse et spirituelle
L’émerveillement est une capacité propre à l’être humain.
Sur le plan philosophique, l’émerveillement est d’abord un étonnement. Pour Platon, l’émerveillement participe de la définition même de la philosophie car il permet de pénétrer dans le territoire du réel avant de commencer à réfléchir.
Le sentiment philosophique : s’étonner. C’est l’origine même de la philosophie. L’étonnement, cet état qui consiste à s’émerveiller, c’est le sentiment tout à fait caractéristique du philosophe. Platon, Théétète.
Pour le philosophe, l’émerveillement est le point de départ de la connaissance, et en particulier de la connaissance de soi, puisque le « moi » s’efface pour laisser place à l’être universel capable de se comprendre lui-même et d’approcher l’essence de l’univers.
L’émerveillement consiste donc en un lâcher-prise, en une ouverture à la réalité, à la beauté et à la perfection de toute chose. C’est un bouleversement intime devant le spectacle du cosmos.
Sur le plan religieux, l’émerveillement est le reflet de la conscience divine. Dieu, après avoir créé le monde, aurait créé l’homme pour pouvoir l’accompagner à admirer sa création. L’émerveillement est donc un des chemins de la connaissance de Dieu. Il est indissociable de la contemplation.
Sur le plan spirituel, l’émerveillement est d’abord le fait d’être ancré dans le présent, loin de toute pensée, désir, passion, regret, culpabilité ou sentiment.
L’émerveillement est simplicité, naïveté. Quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point, dit Jésus (Luc 18, 17).
L’émerveillement est une expérience qui prend aux tripes et au coeur, déclenchant les larmes : ces larmes sont celles de celui qui laisse tomber ses masques pour entrer en sympathie avec le Tout.
L’émerveillement est le fait de se déconnecter du « moi » égoïste pour se connecter au « soi » universel. C’est un recentrage, une forme l’illumination. C’est à la fois un sentiment de plénitude (« je suis tout ») et de vacuité (« tout me traverse »).
Il en résulte un bonheur pur, un véritable enchantement.
Lire aussi notre article : Je suis tout et rien à la fois
L’émerveillement dans les poèmes du moine Ryokan
Ryokan (1758-1831) est une figure du bouddhisme zen (branche japonaise du bouddhisme mahayana).
Ryokan était un moine, un ermite et un poète japonais. Son nom signifie « grand coeur ».
Après avoir suivi l’enseignement d’un maître du bouddhisme zen, il dirige les disciples d’un temple Soto, puis entame une longue période d’errance à travers le Japon avant de s’installer dans une petite hutte sur les pentes du mont Kugami, non loin de son village natal. Là, il mendie, souffre de la faim et du froid et ne livre aucun enseignement. Il s’adonne à la poésie (poèmes brefs ou haiku) et à la calligraphie.
Remarque : Le bouddhisme zen consiste à vivre dans l’ici et maintenant, sans espoir ni crainte, pour parvenir à l’éveil. Le zen prône une forme de méditation assise, le zazen.
Ryokan décrit son émerveillement à travers de courts poèmes, ou haiku.
Un de ses plus célèbres poèmes raconte le jour, où, moine itinérant, il trouve refuge dans une grange pour y passer la nuit. Il s’endort en regardant les étoiles. Lorsqu’il se réveille, il découvre que sa couverture lui a été volée :
Le voleur
A tout emporté sauf la lune
À la fenêtre
Loin de tout sentiment de colère ou d’abattement, Ryokan réussit encore à s’émerveiller. Il remercie ce voleur de lui avoir offert cette illumination, cette vision de la lune au coeur de la nuit.
D’autre part, Ryokan utilisait un bol pour mendier et se nourrir :
Violettes et fleurs de pissenlits
Mêlées ensemble
Dans mon bol de mendiant
Sont offertes à tous les bouddhas
Qu’ils soient ici, là ou là-bas
Le bol représente tout ce que Ryokan reçoit du monde, et qu’il accepte avec gratitude et émerveillement, avant de le rendre, montrant ainsi que même s’il n’est rien, il est le passeur de l’essentiel.
Un jour qu’il perd son bol, il écrit :
Mon cher enfant bol
Je l’ai oublié
Mais personne ne l’a emporté
Qui donc en aurait voulu ?
Mon pauvre bol enfant
Citons ce dernier poème :
Les fleurs sont des poussières du monde.
Souvent je monte au temple de la grande compassion
Contempler les nuages et les brumes
Les pins et les cyprès sont vieux de mille ans
Un vent souffle depuis des milliers de générations.
Pour aller plus loin :
Qu’est-ce que la spiritualité ? Quel est le but à atteindre ? En quoi consiste la méthode spirituelle ? Quel lien avec la philosophie ?
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Modif. le 19 mars 2024