Quelle est la différence entre instruction et éducation ? Faut-il opposer Instruction publique et Education nationale ? Tentative d’éclairage.
Instruction et éducation sont deux termes relatifs à la manière d’enseigner :
- l’instruction consiste à transmettre un ensemble de connaissances théoriques et pratiques, qui permettront à l’individu de penser par lui-même,
- l’éducation vise à former l’esprit et la personnalité par la transmission d’une somme de connaissances larges, touchant à tous les aspects de la vie et de la société.
On le voit, la différence entre instruction et éducation est assez ténue. Dans les deux cas, le but est de former l’esprit, de transformer l’individu en un citoyen libre et éclairé.
Mais alors que l’instruction vise simplement à donner à l’individu les outils afin qu’il puisse, s’il le souhaite, apprendre et s’élever par lui-même, l’éducation va plus loin en abordant directement tous les aspects de la connaissance, des sciences à la philosophie en passant par les connaissances pratiques.
L’éducation développe donc une approche globale de l’enseignement. A l’inverse, l’instruction serait limitée aux apprentissages fondamentaux : lire, écrire, compter, respecter autrui.
Au-delà de ces définitions, la différence entre instruction et éducation renvoie en France à un débat politique où gauche et droite s’affrontent depuis des décennies.
Tentons d’aborder la différence entre instruction et éducation en France.
La différence entre instruction et éducation en France.
Petit retour en arrière. L’expression « instruction publique » date de la Révolution française. Les révolutionnaires souhaitaient une école gratuite, laïque et émancipatrice.
Mais un premier débat apparaît entre les tenants d’une instruction publique (Condorcet) et ceux d’une éducation nationale (Rabaut Saint-Etienne, Lepeletier de Saint-Fargeau) :
L’instruction vise à transmettre des savoirs et à cultiver la raison ; l’éducation, elle, a pour tâche de transmettre non seulement des vérités de fait et de calcul, mais aussi des opinions politiques, morales et religieuses.
Condorcet, Premier mémoire sur l’instruction publique
Quoi qu’il en soit, les révolutionnaires créent un ministère de l’Instruction publique, qui disparaîtra en 1799, au moment où Napoléon rétablira l’enseignement catholique.
Dans les années 1820, l’enseignement est réformé. Le ministère de l’Instruction publique est rétabli. On assigne désormais à l’enseignement une fonction sociale. Le baccalauréat comporte des sujets de morale, de métaphysique, de logique et même de psychologie.
Dans les années 1880, le système éducatif français connaît un changement fondamental avec les lois Ferry qui rendent l’école laïque, obligatoire (de 6 à 13 ans) et gratuite. Les religieux ne peuvent plus enseigner ; certains manuels scolaires sont interdits, ce qui déclenche de nombreux débats et de vives tensions. L’enseignement porte désormais sur le français, les mathématiques, la morale, mais aussi l’Histoire, la géographie, la culture générale et l’instruction civique.
Dans les années 1920, des filières d’enseignement technique sont créées (1919), ce qui déclenche un débat entre partisans d’une éducation spécialisée en filières et tenants d’une éducation égalitaire.
En 1932, pour clore ce débat, le gouvernement d’Édouard Herriot décide de rebaptiser le ministère de l’Instruction publique en ministère de l’Education nationale. Anatole de Monzie est nommé ministre de l’Education nationale. « Education nationale » devient alors synonyme d’égalité, laquelle est garantie par un tronc commun à tous les élèves, transmis notamment par l’école primaire.
Quelques années après, le gouvernement de Vichy met fin à l’école laïque. Les religieux retrouvent le droit d’enseigner. L’enseignement secondaire redevient payant. Dans un premier temps, l’appellation « éducation nationale » est supprimée, puis rétablie en février 1941.
Instruction publique vs. Education nationale : un débat qui perdure.
Aujourd’hui encore, les tenants de l’instruction publique, souvent classés à droite, s’opposent à ceux de l’éducation nationale, classés à gauche.
Les premiers affirment que l’école devrait se borner à transmettre les savoirs élémentaires pour que l’individu dispose des outils nécessaires à son autonomie intellectuelle et à son épanouissement. L’école n’a pas à modeler, ni à domestiquer, ni à inculquer une idéologie quelle qu’elle soit.
Ceux-là craignent notamment l’irruption de la théorie du genre, du wokisme ou de la pensée de la déconstruction au sein des établissements scolaires. L’éducation nationale serait un totalitarisme en puissance, concurrençant le rôle éducatif des familles, imposant ses idées et son idéologie, renonçant même à la transmission correcte des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter).
Pourtant, on peut opposer de nombreux arguments à cette vision des choses :
- d’abord, l’enseignement en France a toujours dépassé la simple transmission des savoirs fondamentaux. Aucune école ne s’est jamais limitée à apprendre à lire, écrire et compter. La morale, le civisme, l’Histoire, les sciences et la culture ont toujours fait partie de l’enseignement, dès le plus jeune âge, cela à toutes les époques et sous tous les régimes, quelque soit le titre de l’enseignement : « enseignement religieux », « instruction publique » ou « éducation nationale »,
- vouloir réserver le pouvoir éducatif aux seules familles serait nier le rôle social fondamental de l’école. L’école est le vecteur de l’harmonie sociale : elle est le lieu où l’on apprend à vivre-ensemble, où l’on cultive les valeurs communes que sont le respect, l’écoute et la tolérance, où l’on partage un même héritage culturel et politique. Ces valeurs peuvent être qualifiées d’idéologie, mais il s’agit alors d’une idéologie issue des Lumières, soumise à la Raison, fondatrice du pacte social,
- ainsi, les initiatives actuelles visant à renforcer l’inclusion, à lutter contre toute forme de discrimination, de domination, de stéréotype ou de préjugé doivent être les bienvenues au sein de l’école républicaine,
- l’école est enfin le lieu de l’égalité : tous les élèves doivent bénéficier des mêmes outils, autrement dit d’un bagage commun qui leur permettra de s’insérer dans une société harmonieuse, où chacun est en capacité de dialoguer avec les autres. Parmi ces outils, il y a bien sûr les savoirs fondamentaux, mais il y a aussi la culture, les sciences, l’Histoire, le civisme, les débats d’actualité, etc. Renoncer à ce socle élargi reviendrait à créer une société où les gens finissent par ne plus se comprendre.
Par conséquent, on aurait tort de vouloir distinguer les enseignements fondamentaux des enseignements dits « secondaires », les premiers menant naturellement aux seconds.
Ainsi, l’école doit transmettre les bases, mais elle a aussi un rôle culturel, politique et social. Elle doit initier l’individu aux sciences, elle doit lui permettre de connaître l’Histoire de son pays et de se positionner sur les grands sujets qui traversent notre société, par exemple le racisme ou la protection du climat et de la biodiversité. Elle doit lui permettre de s’insérer au mieux dans la société, sur tous les plans : culturel, économique, politique, etc, quelles que soient ses origines familiales.
Notre Constitution affirme d’ailleurs le rôle étendu de l’enseignement : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la culture et à la formation professionnelle. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »
Au final, l’école doit être le lieu de la liberté (de penser), mais aussi celui de l’égalité (des savoirs, des chances) et de la fraternité (le vivre-ensemble), un constat qui dépasse largement le débat stérile entre partisans de l’instruction publique et ceux de l’éducation nationale…
Lire aussi : La différence entre savoir et connaissance.
Modif. le 27 février 2023