Déisme, théisme, athéisme : comment la franc-maçonnerie aborde-t-elle Dieu ? Quelles spécificités au Rite Ecossais Ancien et Accepté ?
La franc-maçonnerie est diverse dans son approche du « principe » créateur, ordonnateur ou organisateur, qu’on appelle communément « Dieu ». Alors que certains rites maçonniques sont théistes, d’autres sont déistes, d’autres encore ne se prononcent pas sur Dieu.
On trouve donc des francs-maçons croyants, voire pratiquants, athées ou encore agnostiques.
A titre d’exemple, le Rite Ecossais Ancien et Accepté (R.E.E.A.) est déiste : il affirme l’existence d’un principe créateur, mais sans imposer de croyance en un dieu révélé ou personnifié, chacun étant libre d’y accoler sa propre vision ou croyance. On peut donc qualifier ce déisme d’adogmatique.
Le Rite Ecossais Ancien et Accepté désigne ce principe créateur sous la formule « Grand Architecte de l’Univers » :
La Franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l’existence d’un Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l’Univers.
Déclaration de principe, Convent de Lausanne, 6 septembre 1875
Tentons une approche du déisme, théisme, athéisme ou agnosticisme en franc-maçonnerie.
Lire aussi cet article sur la foi maçonnique et sur le Grand Architecte de l’Univers
Déisme, théisme, athéisme en franc-maçonnerie : définitions
Le théisme affirme l’existence d’un Dieu personnifié et révélé, unique cause du monde dans lequel il agit. Le théisme admet une ingérence directe ou indirecte de Dieu dans les affaires humaines.
Le déisme est une doctrine qui reconnaît l’existence d’un Dieu mais seulement tel que la raison ou un sentiment commun peuvent l’appréhender. Le déisme s’oppose donc aux religions instituées, à leurs dogmes et à leurs rites, en tant qu’elles se fondent sur la révélation d’un Dieu personnifié.
On pourrait citer Cicéron comme l’un des précurseurs du déisme, ou encore Rousseau à travers sa célèbre Profession de foi du vicaire savoyard (Emile) qui rejette tout dogmatisme, ou encore Voltaire avec sa formule du « Grand Horloger » :
L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer
Voltaire, Les Cabales
Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger.
On pourrait encore citer Kant et sa définition de la religion « dans les limites de la simple raison ».
On dit parfois que le déisme est une étape du cheminement de la pensée vers l’athéisme…
L’athéisme est l’absence ou le refus de toute croyance en quelque divinité que ce soit. L’athéisme s’oppose donc clairement au théisme mais moins nettement au déisme, car si l’origine grecque athéos voulait dire sans dieu, avec le temps nous en sommes arrivés à : « rompre la relation avec Dieu », ce qui n’est pas la même chose.
Il y aurait donc deux façons d’être athée :
- un athéisme que nous dirions négatif : ne pas croire en Dieu,
- et un athéisme positif plus militant : croire que Dieu n’existe pas.
Absence d’une croyance ou croyance en une absence
Le premier de ces deux athéismes est très proche de l’agnosticisme.
L’agnosticisme refuse de croire ce qu’il ignore, or nous ne savons pas si Dieu existe et nous ne pouvons le savoir : nous ne pouvons que le croire.
Agnôstos en grec est l’inconnu ou l’inconnaissable.
Etre agnostique, c’est moins reconnaître ne pas savoir (beaucoup d’athées et même de croyants le reconnaissent également) que vouloir s’en tenir à cette ignorance.
L’agnostique refuse de trancher : il coche la case « sans opinion » du sondage métaphysique sur l’existence de Dieu.
Mais au fond l’agnosticisme est aussi une croyance : c’est croire qu’on ne croit pas…
Le Rite Ecossais Ancien et Accepté : un déisme ?
Nous l’avons dit, le Rite Ecossais Ancien et Accepté est déiste. Ses adeptes sont plutôt agnostiques qu’athées, en tout cas pas « stupides », tout en laissant la possibilité à des croyants de toute religion d’y adhérer. On notera que l’inverse n’est pas vrai, référence à la position du Pape sur cette question (lire cet article à ce sujet).
Pour autant, les notions que nous venons de définir s’appliquent principalement au champ des religions et concerne le ou les dieux. Pour les francs-maçons de Rite Ecossais Ancien et Accepté, on parle de principe créateur dont l’existence est « proclamée », pour reprendre la formule du Convent de Lausanne.
Attardons-nous un instant sur le verbe « proclamer », qui donne à cette déclaration un caractère officiel dont la portée est grande. Il y a là un acte fort tendant à clarifier la position de la franc-maçonnerie sur cette question et, plutôt que de brouiller les pistes, elle borne l’espace de réflexion et jalonne le chemin.
Et pour renforcer cet effet, la Déclaration de Lausanne ajoute à cette notion d’espace une notion de temps : « … dès son origine… »
Il n’y aurait donc pas eu de changement, d’adaptation dans le temps, en fonction des époques, des moeurs ou des contextes historiques, la position était claire dès le départ…
Dieu au R.E.A.A : l’existence d’un « principe créateur »
C’est dans les trois mots « existence d’un principe créateur » que se situe peut-être un élément fondamental de la pensée maçonnique au Rite Ecossais Ancien et Accepté voire l’une des bases de l’idée maçonnique.
Lorsqu’on parle de l’existence d’un principe créateur, on a tendance à penser immédiatement à Dieu, le poids sans doute de notre culture judéo-chrétienne.
A l’analyse, une première question se pose : s’agit-il de deux mots distincts, un principe qui serait créateur, d’autres pouvant ne pas l’être, ou bien faut il l’aborder comme une entité, un « principe-créateur ».
Pour y répondre, il nous faut à nouveau poser quelques définitions.
« Principe » fait partie de ces mots, très souvent utilisés en franc-maçonnerie, qui prennent sens en fonction du contexte de leur utilisation, « de là ou l’on parle » comme diraient les philosophes.
Principe vient du latin principium, qui veut dire commencement, point de départ. Au sens large, ce qui est en premier dans l’ordre de l’existence (synonyme de cause), ou de la connaissance (synonyme de prémisse) ou encore de l’action (synonyme de règle).
En philosophie métaphysique, son utilisation est le pus souvent réservée pour désigner la cause première, arkhé en grec, première de toutes les causes, la plus ancienne, la plus profonde, celle qui est responsable de l’ordre de l’univers (référence à Aristote dans son ouvrage La métaphysique).
En morale, le principe est ce qui commande l’action : « avoir des principes ».
En mathématique, on parle de principe premier d’un raisonnement ou d’une démonstration ne se déduisant elle-même d’aucune autre, et d’où dérivent, à titre de conséquence, les autres propositions.
La question est de savoir dans quel sens ce mot est utilisé en franc-maçonnerie… Une réponse pourrait être que l’on utilise souvent, dans la démarche maçonnique, des mots qui peuvent avoir des sens différents, et cela est fait dans un esprit d’ouverture afin de ne pas s’enfermer dans des définitions trop strictes, car « ici, tout est symbole ».
Le principe dont on parle ici, s’il est commencement, ne s’inscrit pas dans une approche existentielle chronologique au sens de commencement du monde ou de l’existant, mais comme une énergie à l’origine de l’action, comme une force agissante primordiale : une force créatrice permanente.
Dans cette acception du terme de « principe », le mot « créateur » qui lui est associé n’a plus rien à voir avec une quelconque vision créationniste du monde. Le principe créateur de la franc-maçonnerie au R.E.A.A. n’est donc pas forcément à l’origine du monde : il ne s’agit pas d’un dieu. C’est un principe qui s’adresse aux hommes, pour les hommes, par les hommes.
Maintenant que nous y voyons un peu plus clair au sujet de la notion de « principe créateur », nous pouvons aborder avec plus de sérénité la question de son existence.
Les preuves de l’existence d’un « principe créateur »
Sur la question de l’existence de Dieu, on évoque en général trois types de preuves :
- la preuve ontologique qui nous vient de Saint Anselme au XIe siècle. Dieu existe par définition, c’est la preuve a priori, Dieu est le seul être qui existe par essence,
- la preuve cosmologique défendue par Leibnitz, c’est la preuve a posteriori, le principe de raison suffisante : rien n’existe sans cause et la dernière raison des choses, c’est Dieu.
- enfin, la plus connue est la preuve physico théologique : nous retrouvons là Voltaire, c’est la théorie du dessein intelligent ; le monde est trop ordonné, trop beau, trop harmonieux pour être le fait du hasard.
Mais l’origine étymologique du mot vient du latin existo, existere : qui veut dire « sortir de, naître ». Nous sommes là face à une impasse en abordant le principe créateur dans une approche divine. Comment une quelconque divinité, a fortiori unique, pourrait-elle sortir de quelque part ? Car s’il y a naissance, il y a antériorité, et si il y a antériorité, c’est-à-dire quelque chose avant Dieu, alors il n’y a plus de Dieu.
Dieu ne peut donc pas « exister ». Mais il existe cette force motrice qui nous pousse à agir, cette énergie créatrice qui nous permet de changer le monde, ou qui change le monde à travers nous. C’est l’élan vital de Bergson, le conatus (la puissance d’agir) de Spinoza.
Il nous incombe à nous francs-maçons de travailler sans relâche afin de faire jaillir cette force, cette Lumière qui est en nous pour éclairer le monde : c’est notre capacité créatrice.
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Modif. le 7 juillet 2024