Le cynisme : définition de ce courant philosophique. Qu’est-ce que le cynisme ? Qui était Diogène de Sinope ? Quel rapport à la vie ?
Plus qu’une philosophie, le cynisme (du grec ancien kuon : « chien ») est un mode de vie contestataire qui prétend imiter le comportement des chiens, dans le sens de mener une vie libre, simple et proche de la nature.
Les chiens vont où ils veulent, n’ont pas à se vêtir, mordent ceux qui les importunent, urinent et se reproduisent n’importe où. Ils suivent leur instinct, se contentent de ce qu’ils ont, sans se poser de question.
Il s’agit donc de retrouver une forme d’authenticité primordiale : c’est pour les cyniques la voie de la sagesse, puisque ce mode de vie apprend la sobriété, le courage et la patience.
Le cynisme a été fondé en Grèce par Antisthène vers 390 avant J-C. Mais le principal représentant de ce courant est Diogène de Sinope (dit « Diogène le cynique » ou « Diogène le chien »), son disciple.
La vie décousue de Diogène de Sinope a largement été décrite et commentée, en particulier par le poète Diogène Laërce dans son ouvrage : Vie et doctrine des philosophes de l’Antiquité (cliquez ici pour lire le chapitre consacré à Diogène de Sinope).
Diogène de Sinope :
- vivait sans domicile fixe, avec une besace et un bâton,
- habita un temps dans un tonneau,
- pratiquait la philosophie en tout lieu,
- critiquait ouvertement Platon pour son orgueil et son amour des concepts et des théories,
- critiquait le manque de bon sens des érudits, des mathématiciens (qui s’intéressent aux étoiles sans connaître la Terre), des riches (qui pensent qu’une statue vaut plus qu’un sac de farine) et même des esclaves (qui n’osent pas voler leur maître),
- critiquait les calomniateurs et les flatteurs,
- s’infligeait des épreuves comme marcher pieds-nus dans la neige ou manger de la chair crue,
- se masturbait en public « pour plaire aux dieux »,
- etc.
Remarque : Aujourd’hui, on parle du syndrome de Diogène pour décrire un trouble du comportement conduisant à des conditions de vie insalubres.
Tentons de donner une définition du cynisme en philosophie.
En tête de cet article : Diogène, par Jean-Léon Gérôme (1860).
Le cynisme en philosophie : définition de ce courant de pensée.
Définition : Le cynisme est un état d’esprit et un mode de vie qui prône le dénuement, le retour à la nature, la raison, le courage et l’humilité.
Diogène lui-même disait préférer « la nature à la loi des hommes, le courage à la fortune, la raison aux passions. »
Les cyniques rejettent l’attachement aux biens, les désirs, les conventions, le conformisme social, les théories fumeuses et les superstitions. Ils n’hésitent pas à dénoncer et à transgresser la morale, les convenances et les règles de bienséance, qui ont pour eux tout d’artificiel. Ils rejettent la civilisation lorsqu’elle s’éloigne des lois naturelles.
Aux grands discours, Diogène de Sinope préférait le bon sens. Aux livres, il préférait « le véritable exercice de l’intelligence ».
Diogène pratiquait l’ironie, les remarques mordantes et méprisantes. C’est cet aspect de son comportement qui a donné le sens actuel du mot « cynisme ».
Quelques exemples rapportés par le poète Diogène Laërce :
- Un sophiste tirait pour conclusion d’un syllogisme, qu’il avait des cornes ; Diogène se toucha le front et dit : « Je n’en sens pas. » Un autre ayant nié le mouvement , il se leva et se mit à marcher. Entendant quelqu’un discourir sur les phénomènes célestes, il lui dit : « Depuis quand es-tu revenu du ciel ? »
- Platon avait défini l’homme un animal à deux pieds sans plumes, et cette définition avait fait fortune. Diogène pluma un coq et le porta dans l’école du philosophe, en disant : « Voilà l’homme de Platon ! »
- On lui demandait à quelle heure il fallait dîner : « Si vous êtes riche, répondit-il, quand vous voudrez ; si vous êtes pauvre, quand vous pourrez. »
- Pendant une dissertation du même rhéteur, Diogène tira tout à coup un poisson salé et détourna ainsi l’attention des auditeurs ; Anaximène se fâchant, il se contenta de répondre : « Un poisson d’une obole a mis fin au discours d’Anaximène. »
Le mépris de Diogène pour les hommes est symbolisé par la lanterne : « Ayant allumé une lanterne en plein jour, il s’en allait criant : « Je cherche un homme ! ». Il montrait ainsi l’impossibilité de trouver quelqu’un de raisonnable autour de lui.
Cynisme, anarchisme, stoïcisme et taoïsme.
Le cynisme est une forme d’anarchisme (tendance primitiviste) car :
- il prône la liberté et la spontanéité,
- il refuse la technique,
- il refuse le pouvoir des puissants (« des bulles de gloire »),
- il méprise les politiciens (« les serviteurs de la populace ») et les magistrats (« les grands voleurs »),
- il encourage à la contestation de l’ordre établi, des lois et des normes sociales.
D’autre part, le cynisme est proche du stoïcisme, dont il jette les bases (90 ans séparent les deux courants). En effet, cyniques et stoïciens prônent une raison issue des lois naturelles, ainsi que le retour à une certaine authenticité. Cependant, les stoïciens recherchent le détachement et la tranquillité d’âme alors que les cyniques sont dans la subversion et la provocation.
Enfin, le cynisme se rapproche du taoïsme dans le sens où il incite à placer son action dans l’ordre des choses : c’est le concept du non-agir. Le retour à la nature, l’authenticité, le détachement des biens matériels, le refus des passions et l’ascèse sont autant d’éléments communs au cynisme et aux philosophies orientales.
Le mode d’expression des maîtres taoïstes ou bouddhistes, souvent ironique et moqueur, rappelle aussi le cynisme grec.
Que reste-t-il du cynisme aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le cynisme n’est plus vraiment une philosophie, mais un comportement provocateur souvent mal vu.
Pourtant, la philosophie cynique pourrait nous permettre de prendre du recul sur la vie moderne. Par sa dénonciation des conventions, des postures, de l’opinion et de l’hypocrisie, le cynisme appelle à retourner à une éthique naturelle et universelle.
Le cynisme est un retour brutal au bon sens : sa rudesse cache un humour vrai, une profonde sagesse, et un recentrage de l’humain sur l’essentiel.
Plus qu’un discours, le cynisme est une discipline de vie : le fait de vivre dans le dénuement est à la fois souffrance et bonheur, c’est la voie de la vérité.
Seul Platon a véritablement pointé la limite du cynisme ; Diogène Laërce rapporte en effet l’échange suivant :
Diogène se rendit un jour à une réunion où Platon avait invité quelques amis, et il se mit à fouler aux pieds les tapis en disant : « Je foule la vanité de Platon. — Et moi, reprit Platon, j’entrevois beaucoup d’orgueil sous ton mépris de la vanité. »
Citations de Diogène le cynique.
Voici quelques citations pour éclairer le cynisme en philosophie :
Lorsque je considère la vie humaine, disait-il souvent, et que je vois ceux qui la gouvernent, les médecins et les philosophes, l’homme me semble le plus sage des animaux ; mais quand je jette les yeux sur les interprètes des songes, les devins et ceux qui ont confiance en eux, sur ceux qui sont entichés de la gloire et de la richesse, rien ne me paraît plus sot que l’homme. Diogène de Sinope
Des hommes, je n’en ai vu nulle part ; mais j’ai vu des enfants à Lacédémone. Diogène de Sinope (répondant à un homme lui demandant dans quel lieu du pays il avait vu des hommes courageux)
Je vous reconnais bien, vous accourez auprès de ceux qui vous content des sornettes, et vous n’avez qu’insouciance et dédain pour les choses sérieuses. Diogène de Sinope (parlant à la foule venue pour l’écouter)
Hommes, accourez, (puis les écartant avec son bâton) ; j’ai appelé des hommes et non des ordures ! Diogène de Sinope
Les véritables estropiés ne sont pas les sourds et les aveugles, mais ceux qui n’ont pas de besace. Diogène de Sinope
Un enfant m’a donné une leçon de simplicité. Diogène de Sinope (ayant jeté son gobelet après avoir vu un enfant boire dans le creux de sa main)
Retire-toi de mon soleil. Diogène de Sinope (à Alexandre le Grand)
Tu n’es pas encore heureux, il faudrait aussi qu’il te mouchât ; mais cela viendra quand tu auras perdu les mains. Diogène de Sinope (à un homme qui se faisait chausser par un esclave)
Cesse de déshonorer les insignes du courage. Diogène de Sinope (à un homme qui se couvrait d’une peau de lion)
L’homme vertueux est l’image des dieux. Diogène de Sinope
Un ouvrage sur le cynisme en philosophie :
- Diogène le Cynique, d’Etienne Helmer. Un ouvrage complet et passionnant qui montre le côté actuel de la pensée de Diogène de Sinope.
Modif. le 30 juillet 2021