Culte de Mithra et franc-maçonnerie : quelle relation ? Qu’est-ce que le mithraïsme et en quoi aurait-il pu influencer la franc-maçonnerie ? Voici une planche au 1er degré.
Le culte de Mithra ou mithraïsme est un « culte à mystères » présent dans l’Empire romain entre la fin du Ier siècle et le début du VIe siècle après J-C, dont certains aspects rappellent la franc-maçonnerie actuelle.
Mithra est une divinité issue du panthéon mazdéen et zoroastrien, donc originaire du monde iranien (lire notre article sur zoroastrisme).
Cet ancien culte à mystères n’a plus d’adeptes aujourd’hui ; ses temples sont des vestiges archéologiques, mais son souvenir est bien présent, en particulier chez les franc-maçons. Voyons pourquoi.
Voici donc une planche sur le culte de Mithra et la franc-maçonnerie.
Culte de Mithra et franc-maçonnerie : initiation et fraternité
Religion syncrétique associant, entre autres influences, le zoroastrisme et le culte de Persée, le mithraïsme fut la religion dominante au sein des légions romaines à la fin de l’Empire, de l’Anatolie aux îles Britanniques.
Cette religion initiait sur un pied d’égalité des hommes issus de toutes origines sociales. Au cours des années, les pratiquants gravissaient sept grades symboliques qui faisaient suite à une initiation où l’impétrant, dénudé, mains liées et yeux bandés, devait affronter une série d’épreuves, dont un saut au-dessus d’une rigole remplie d’eau. Ces premiers éléments rendent évident le parallèle entre culte de Mithra et franc-maçonnerie.
Après que le christianisme a été reconnu religion d’Etat en 392 par l’empereur Théodose, la persécution puis l’interdiction des cultes païens à partir du IVe siècle ont mis fin aux anciennes organisations cultuelles telles qu’elles étaient connues jusqu’alors, et parmi elles le mithraïsme.
Dès lors, s’est organisée une démolition méthodique des lieux et symboles du culte de Mithra, décapitant sculptures et effaçant les fresques du Dieu Invincible. Toutefois, les souvenirs des rituels et des symboles ont été discrètement transmis sur plusieurs générations à propos de ce dieu solaire de la fraternité que les ancêtres adoraient.
Les temples mithraïques
Les temples mithraïques, dont certains ont été retrouvés, consistaient en des salles rectangulaires pourvues de banquettes se faisant face de part et d’autre d’une allée centrale, banquettes où s’allongeaient les initiés. Au fond, le vénérable Père siégeait devant un bas-relief représentant Mithra coiffé de son bonnet phrygien et terrassant le taureau : c’est la fameuse « taurotocnie ». On a même retrouvé des traces de ces temples aux confins de l’Empire, le long du mur d’Hadrien, aux limites de l’Écosse.
La figure du Dieu Mithra trouve son origine dans le mazdéisme, comme l’atteste une tablette d’argile du XIVe siècle avant J-C provenant de Boghaz-Kay, ancienne capitale de l’Empire hittite, dans l’actuelle Turquie. Dans ce document, Mithra, avec d’autres dieux indo-aryens, sert de garant d’un accord entre les Hittites et le peuple des Mitanni.
Notons que le terme Mithra vient de l’hypostase proto-indo-aryenne mitra, qui signifie « ami » ou « contrat ». Dans le sous-continent indien, Mithra est considéré comme le protecteur de la parole donnée, des réunions, qu’il préside, et par extension de l’honnêteté et de la fraternité.
Le Dieu Mithra
Figure secondaire dans le panthéon zoroastrien, ce jeune dieu gagne du « galon » en progressant au gré des conquêtes perses sur les Babyloniens où il se trouve recyclé dans les cultes à mystères de cette époque. Les rois de Perse juraient par Mithra en invoquant sa lumière (cf. Plutarque, Vies parallèles, Alexandre, XXX, 8) : c’est une divinité solaire du panthéon mazdéen, le « Dieu du lever du Soleil, de la victoire de la Lumière sur les ténèbres, de la vie sur la mort ».
La naissance mythique de Mithra est aussi un objet symbolique fort, et bien que sous-représentée, elle apparaît sur des stèles en différents endroits de l’empire romain.
En l’occurrence, il s’agirait de la pétrogenèse : petra genetrix. Mithra est né de la pierre, peut-être au solstice d’hiver, soit le 25 décembre, date qui devient à la fin du IIIe siècle le Natalis Solis Invicti, la naissance du Soleil pour les Romains, qui deviendra plus tard la fête de Noël.
C’est en Phrygie, ancien pays d’Asie Mineure, situé entre la Lydie et la Cappadoce, sur la partie occidentale du plateau anatolien (actuelle Turquie) que le culte moderne de Mithra se cristallise. Il y doit son bonnet phrygien, symbole repris plus tard lors de la Révolution française.
Bien que ce culte ne s’impose pas au sein du monde hellénistique, en raison d’un paysage mythologique et religieux déjà chargé, c’est néanmoins à la Grèce que Mithra doit son iconographie et son hagiographie : un puissant chasseur coiffé de son bonnet phrygien, immolant un taureau en le tenant par les cornes, assisté par un chien, un corbeau, un scorpion et un serpent à ses pieds, entouré du Soleil invaincu (Sol Invictus) et de la Lune.
Ce mythe central de Mithra, c’est-à-dire le sacrifice du taureau céleste, qui permet la régénération de la Nature, est connu depuis l’Antiquité comme un acte fondateur de la civilisation. Certains rapprochent cette symbolique de l’Ere du Taureau, qui commence approximativement 4000 ans avant J-C et qui a vu l’apogée de la civilisation sumérienne, berceau de l’écriture et des lois. Certains auteurs notent le curieux parallèle avec l’Anno Lucis, année de Vraie Lumière, dite aussi « année de création » pour les franc-maçons.
Nous l’avons dit, c’est au sein de l’empire romain que le culte de Mithra apparait en Europe occidentale. La première mention de ce culte est présente dans l’œuvre de Plutarque. Dans ses Vies parallèles, dans le chapitre consacré à Pompée (XXIV, 7), Plutarque explique que c’est au contact des pirates de Cilicie, lors de la guerre qu’a mené Pompée contre ces derniers en 66 av. JC, que les Romains découvrent Mithra et ses mystères.
Au sein de l’Empire, le culte se développe sans prosélytisme évident, par une approche discrète : c’est une pratique protégée par le secret et l’intégrité morale de ses membres. Le mithraïsme romain s’inscrit dans les courants philosophiques de l’époque, à savoir le néo-platonisme et le stoïcisme, auxquels il faut ajouter l’empreinte des traditions orientales, notamment le zoroastrisme. Il est particulièrement populaire chez les militaires et les commerçants.
La fonction de Mithra comme dieu protecteur de la parole donnée, des contrats et de l’amitié perdura dans l’Empire et dans ce qui en restera, comme dans l’ensemble des territoires indoaryens. Et c’est précisément la valeur de la fraternité entre les hommes, indépendamment de leur origine, de leur condition ou de leur statut (parmi les initiés, il y avait aussi bien des empereurs que des esclaves) qui constitue le socle de ce rite, renforcé par des aspects symboliques qui nous parlent tout particulièrement à nous franc-maçons…
Culte de Mithra et franc-maçonnerie : points de similitude
Il y a tout d’abord le Mithraeum, temple où se réunissent les initiés, qui est la représentation terrestre du cosmos que les âmes traversent pendant leur processus de réincarnation ou d’évolution. Un espace présidé par le Soleil et la Lune, avec en son centre de Mithra sacrifiant le Taureau Céleste, en tant qu’ordonnateur de l’univers matérialisé.
Le temple mithraïque est un lieu intemporel où l’on accomplit des mystères, où l’on initie les membres de la communauté, où l’on délibère sur des questions terrestres et où, finalement, la fraternité entre les frères se forge et se renforce au gré des travaux.
C’est un espace relativement petit car adapté à des communautés ne dépassant pas la trentaine voire la quarantaine de membres, soit l’équivalent d’une loge maçonnique actuelle. Cet espace est délimité par les quatre directions d’un plan rectangulaire. De part et d’autre d’un couloir central, au nord et au sud, les mithraïstes sont allongés, alignés face à face selon leurs degrés. A l’est est assis le Père, entouré de ses assistants.
Certaines recherches archéologiques ont indiqué que plusieurs Mithraeum contiennent une cavité dans le sol où est placé un sarcophage contenant le corps du frère symboliquement décédé. En effet, les initiations mithriaques, comme beaucoup d’autres par ailleurs, sont précédées de la mort symbolique du néophyte qui renaîtra en laissant derrière lui sa vie profane. Une approche que l’on retrouve bien sûr en franc-maçonnerie.
Mithra et franc-maçonnerie : le banquet rituel
Les adeptes du mithraïsme s’adonnaient à un banquet rituel, basé sur l’épisode mythique de la rencontre de Mithra et du Soleil en vue de partager les agapes, avant d’entamer le voyage de l’ascension.
Ce moment a été interprété comme une « Cène » par laquelle Mithra célèbre la fin de sa mission sur Terre, avant de monter dans son char et de s’en aller vers le Ciel.
Pour les participants aux mystères, ce banquet a une signification de sacrement en commémoration de l’épisode mythique, ainsi que pour son caractère intégrateur et porteur de cohésion fraternelle. La communauté se réunit expressément pour célébrer cela.
Au banquet, trois aliments jouent un rôle central dans le symbolisme de cette liturgie : le pain, le vin, ainsi que la viande. Ce sacrement est vu comme une répétition des pratiques avestiques iraniennes en relation avec le sacrifice du taureau et la consommation du haoma, « breuvage d’immortalité » qui correspond au soma hindou. On peut y voir une approche de l’espoir du salut et de l’idée de renaissance qu’il implique.
Lors du banquet, le rôle de Mithra et du Soleil est occupé par deux initiés éminents de la communauté, Pater et Heliodromus, accompagnés des autres initiés.
L’ouverture des travaux et l’initiation
Continuons le parallèle entre culte de Mithra et franc-maçonnerie.
Le caractère mystérieux de ce culte se concrétise non seulement dans le pacte de secret qui marque chacune des activités qui sont menées à l’intérieur du Mithraea, mais aussi dans l’initiation en tant que véhicule d’incorporation des aspirants.
L’initié rejoint la communauté après être passé par un processus inévitable par lequel les mystères lui sont révélés. Le nouveau membre accepte ainsi le jour de son initiation comme une nouvelle naissance, c’est-à-dire mystes es natus et renatus (« tu nais et tu renais en tant que mystique »).
Le candidat, nu, les yeux bandés, les mains attachées derrière le dos, est accompagné d’un mystagogue qui l’introduit dans la communauté.
L’incorporation du néophyte dans la communauté s’accompagne du processus initiatique à l’issue duquel il démontre son aptitude à rompre avec son existence antérieure pour commencer sa nouvelle vie identifiée à Mithra et à bénéficier du salut que ce dernier accorde à tous ceux qui ont été initiés à ses mystères.
Dans certaines fresques, on voit un néophyte (un myste) avec un personnage se tenant derrière-lui, alors qu’un autre se trouve face à lui. Cet officiant, probablement le Pater puisqu’il est coiffé du bonnet phrygien, dirige son épée vers le candidat, comme on le pratique en franc-maçonnerie.
L’incorporation et la participation aux mystères mithraïques s’effectuent selon une échelle de sept degrés à laquelle on accède progressivement. Chacun de ces degrés initiatiques est sous la protection ou le patronage d’une planète.
Enfin, les diplômes mithriaques sont regroupés autour de deux catégories : les trois premiers jouent le rôle de collaborateurs (υπηρετουτντεζ) dans les cérémonies, tandis que les quatre autres jouent un rôle participatif (μετεχονeζ).
Ces degrés étaient :
- Corax (le corbeau),
- Nymphus (la jeune fiancée),
- Miles (le soldat),
- Leo (le lion),
- Persa (le Perse),
- Heliodromus (le coursier du Soleil)
- et Pater (le père de la communauté).
La chaîne d’union
Pour finir, la chaîne d’union est l’autre élément qui permet de relier culte de Mithra et franc-maçonnerie.
L’épisode mythologique dans lequel Mithra et le Soleil formalisent l’accord par la formule de joindre leurs mains fait partie des principaux rituels des communautés mithriaques. Par cette union des mains, le Pater, qui agit en tant que représentant terrestre de Mithra, renforce le lien de fraternité entre les participants qui sont unis grâce à cette chaine qui est aussi appelée syndexioi, « ceux qui sont unis par la poignée de main ».
Ainsi, les franc-maçons sont en grande partie les héritiers du culte de Mithra, un culte qui accorde une place majeure à la fraternité et à l’initiation, à travers un rite particulièrement élaboré.
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Modif. le 6 juin 2024