Né en 1962, Jean-Marc Jancovici, est un ingénieur et enseignant français connu pour son engagement contre le réchauffement climatique et pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
En 2010, il lance The Shift Project, un think tank développant des actions de lobbying en direction des élus et des collectivités.
En 2022, il présente un Plan de transformation de l’économie française (PTEF), offrant une image cohérente de ce que serait une économie bas carbone. Ce document est, selon ses auteurs, destiné à « peser sur le débat public ». M. Jancovici s’exprime aussi en faveur de la formation des élus aux enjeux du réchauffement climatique.
Jean-Marc Jancovici développe une approche essentiellement scientifique et pragmatique du changement climatique. Il souhaite attirer l’attention des dirigeants sur l’importance du défi à venir, influencer les décideurs et les élites sur la base de données complètes et fiables.
Il avance des propositions visant à gérer au mieux la baisse inéluctable de la production d’énergies fossiles. Il utilise le terme de décroissance, et soutient avant tout l’objectif de décarboner l’économie en développant les énergies alternatives mais aussi en renforçant les capacités nucléaires françaises. Il considère en effet que la décroissance énergétique sans nucléaire pourrait conduire à un effondrement social : en ce sens, le nucléaire permettrait d’amortir les effets de la décroissance. Il est en outre favorable à un état fort et planificateur.
Jean-Marc Jancovici développe donc une vision particulière de la transition énergétique et économique, fondée sur un « atterrissage en douceur » qui permettrait de contourner la supposée résistance de la population à un changement brutal de ses habitudes de consommation.
Tentons une critique du système de pensée Jancovici.
Elitisme et méfiance envers le peuple.
Au-delà des déclarations d’intention, Jean-Marc Jancovici instille l’idée d’une transition énergétique élaborée et pilotée par les élites, lesquelles doivent prendre en compte le risque de résistance de la population. Ce risque supposé justifie notamment le renforcement des capacités de production nucléaire afin de compenser une partie de la baisse des énergies carbonées, ceci pour éviter des réactions sociales trop fortes.
Notons que les membres du Shift Project sont pour la plupart des cadres, des chefs d’entreprise, des ingénieurs, des élus et des étudiants. Par ailleurs, le Shift Project est soutenu financièrement par des entreprises multinationales telles que Vinci, EDF, Bouygues, BNP ou Veolia.
On l’a compris, la principale crainte des Shifteurs est que la transition énergétique s’accompagne de troubles, la population refusant de revenir à « l’âge de pierre ».
Cette vision élitiste se fonde sur l’idée que le peuple ne comprendrait pas les enjeux du changement climatique et ne serait pas prêt à changer ses habitudes. De fait, le peuple est considéré comme une contrainte, voire un obstacle, et non comme un acteur de la transition à opérer.
L’épouvantail du retour à l’âge de pierre.
Les Shifteurs ne cessent d’alerter sur le risque majeur que comporte la transition énergétique à venir, à savoir l’effondrement du niveau de vie si aucun effort n’est fait pour développer une énergie de remplacement décarbonée déjà existante, entendre par là l’énergie nucléaire.
Or la perspective d’un retour à l’âge de pierre relève du mythe plutôt que de la réalité. Prenons l’hypothèse d’une division par deux de notre consommation énergétique. Cela reviendrait à retrouver le niveau de 1968, une époque pourtant éloignée l’âge de pierre puisque le pays était doté d’un système de santé et d’un système éducatif performants, ainsi que de moyens de transport et d’une industrie développée. Même si la population française a entre-temps augmenté de 30%, il est évident que les gains de performance des équipements et machines en matière de consommation énergétique compenseraient largement cet écart.
Revenir au niveau de consommation énergétique de 1968 permettrait de sortir des énergies fossiles sans pour autant relancer la construction de centrales nucléaires, tout en rendant possible la sortie de l’atome par la montée en puissance progressive des énergies renouvelables.
Les Shifteurs considèrent qu’une telle réduction de consommation serait inacceptable pour la population.
Pourtant, rien ne prouve que les Français seraient réfractaires à la sobriété si celle-ci s’accompagnait au final d’une meilleure qualité de vie : un lieu de travail plus proche, moins d’activités polluantes, moins de stress, plus de temps pour soi et pour ses proches, une meilleure santé, une meilleure éducation, des vacances plus authentiques, des comportements plus responsables, bref une vie plus simple et plus respectueuse de la Nature.
Aux yeux des Shifteurs, les couches populaires ne trouveraient leur bonheur que dans le robinet énergétique et la consommation…
L’absence de vision politique globale.
Le Plan de transformation de l’économie française élaboré par The Shift Project est entièrement fondé sur l’analyse des stocks et des flux physiques de matière et d’énergie : selon Jancovici, cette approche constitue le « socle irremplaçable pour toute analyse prospective ».
Il s’agit donc d’une démarche purement théorique, ayant pour point de départ des statistiques qu’il s’agit de conformer à des objectifs finaux chiffrés.
La question politique, au sens de l’organisation globale des rapports humains et du pouvoir au sein de la société, n’est qu’effleurée.
Les Shifteurs assument même ne pas souhaiter de changement politique majeur. Ils appellent simplement « à une forme de sobriété sans faire renoncer les citoyens à aucun des usages, libertés ou opportunités fondamentales dont ils jouissent aujourd’hui en France » (Laurent Morel, vice-président du Shift Project, 25/01/2022, Les Echos). Ils souhaitent que leurs propositions soient « réalistes techniquement, et acceptables politiquement ».
De fait, les Shifteurs nient la capacité de la société à se transformer radicalement par elle-même face au défi de la transition énergétique. Paradoxalement, ce postulat limite considérablement la possibilité de mettre en oeuvre certaines des propositions du think tank.
Contrairement à ce que soutiennent les Shifteurs, il se pourrait que le peuple soit en réalité le premier demandeur d’un changement radical des modes de vie et des rapports sociaux. La plupart des citoyens sont en effet conscients de l’impasse écologique, économique, sociale et démocratique dans laquelle ils se trouvent. Ils se distinguent en cela des élites, qui à l’inverse, semblent tout faire pour maintenir un système à bout de souffle.
Contrairement à une idée reçue, la résistance au changement ne vient donc pas d’en bas, mais d’en haut. Les Shifteurs oublient que les principaux points de blocage à la transformation sont l’absence de débat public, la sclérose du système démocratique, l’incapacité des médias à aborder les enjeux écologiques, ou encore l’incapacité des institutions à laisser émerger des modèles de société alternatifs. Ils n’analysent pas non plus les raisons fondamentales qui ont conduit l’humanité à cette impasse écologique et à tarder à se remettre en question.
En se situant au coeur du système et en renonçant à le réformer profondément, en maintenant l’illusion que la société peut évoluer tout en conservant le principe de l’accumulation capitaliste, les Shifteurs se retrouvent plus du côté du problème que de la solution.
Car la société ne pourra pas faire l’économie d’un vrai débat sur son système de pensée, ses valeurs, son contrat social et son modèle économique.
La véritable question n’est donc pas : « peut-on réussir la transition énergétique ? » mais : « sommes-nous prêts à changer de société ? »
Sommes-nous prêts à favoriser la collaboration plutôt que la compétition ? Sommes-nous prêts à renoncer à l’accumulation pour promouvoir le partage ? Sommes-nous prêt à encourager les comportements solidaires au détriment de la prédation ? Sommes-nous prêts à définir de nouvelles manières de travailler, de produire, de vivre, d’éduquer nos enfants ? Sommes-nous prêts à adopter de nouvelles valeurs, à donner une nouvelle définition à la liberté, à l’égalité et à la fraternité ?
Une absence de fondement philosophique.
L’approche scientifique et technique de Jean-Marc Jancovici se passe de tout fondement politique et philosophique.
Les Shifteurs n’abordent aucune des questions fondamentales que l’Homme devra nécessairement se poser en ce début de troisième millénaire :
- quelle est la place de l’Homme dans la Nature ?
- quel est le sens de l’existence humaine ?
- qu’est-ce que le bonheur ?
- comment l’Homme peut-il reprendre le contrôle de lui-même et maîtriser ses pulsions ?
- quels sont les besoins fondamentaux de l’Homme (au-delà des besoins matériels) ?
- comment arriver à l’harmonie universelle ?
- quelle gouvernance mondiale imaginer ?
L’être humain se connaît encore mal. Il se maîtrise mal. Engagé dans une spirale autodestructrice, croyant fermement en sa toute-puissance, il n’est pas encore parvenu à entrer dans l’âge adulte. Il se croit libre alors qu’il est prisonnier de lui-même.
Alors que les Shifteurs développent un approche comptable et scientifique de la transition énergétique, c’est avant tout d’une nouvelle approche philosophique dont l’humanité a besoin. Car la sobriété n’impose aucun défi technique en soi, simplement une conversion des esprits. Autrement dit, la question n’est pas physique, elle est métaphysique.
Le mythe du nucléaire comme solution.
La preuve la plus flagrante que Jean-Marc Jancovici ne maîtrise pas les enjeux globaux des changements à venir est son attachement à l’énergie nucléaire, qu’il appelle à relancer dans le but de décarboner au plus vite l’économie.
On pourrait rappeler que l’énergie nucléaire n’est aujourd’hui réservée qu’à quelques pays. On pourrait évoquer les risques importants attachés au fonctionnement des centrales nucléaires : à titre d’exemple, la tempête de décembre 1999 a provoqué une inondation dans la centrale du Blayais (Gironde), un accident de type Fukushima ayant été évité de justesse, qui aurait conduit à l’évacuation de Bordeaux, à la fin du vignoble bordelais et à une pollution massive du golfe de Gascogne.
On pourrait aussi évoquer le coût exorbitant des nouvelles centrales de type EPR ou le problème du traitement des déchets nucléaires, dont certains ont une durée de vie supérieure à 10 000 ans, donc largement supérieure à la durée de vie d’une civilisation.
Mais la principale objection qu’on fera à Jean-Marc Jancovici concernant le nucléaire est, là encore, d’ordre politique et philosophique. Le nucléaire est en effet l’archétype de l’énergie du passé : il épouse les caractéristiques de notre civilisation occidentale, non renouvelable, ultra centralisée, fondée sur la course aux ressources, la production, la performance et la compétition internationale.
Intimement lié à la puissance militaire, le nucléaire aboutit à un ordre du monde inégalitaire, alimente les conflits géopolitiques et les ressentiments entre les peuples. Il est donc un obstacle à l’avènement d’un nouveau type de société, plus humaine, moins centralisée, plus lente et plus sobre. Il rend impossible la naissance d’une humanité rassemblée, en paix avec elle-même, réconciliée avec la Nature.
Conclusion.
Au final, Jean-Marc Jancovici n’apporte aucune solution concrète au défi du changement climatique, pour la simple raison que la réponse ne se situe pas sur le terrain scientifique, mais bien sur le terrain politique et philosophique.
On peut considérer aujourd’hui que les alertes ont été suffisamment nombreuses, ne serait-ce qu’à travers les rapports du GIEC. Les solutions existent, elles sont connues depuis longtemps. Reste une question est simple : sommes-nous prêts à lever les blocages à la sobriété et à inventer un nouveau type de société ?
M. Jancovici, en s’inscrivant dans le système capitaliste, en se faisant financer par des multinationales qui œuvrent pour la défense de leurs propres intérêts, en appelant à la relance du nucléaire, montre qu’il est plus du côté du problème que de la solution.
Modif. le 25 mai 2022