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Le collège et ses dysfonctionnements : autopsie d’un échec

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Le collège est une institution en échec. Mauvais résultats, dysfonctionnements, stress, violence, mal-être, tous les clignotants sont au rouge. Critique et propositions pour une réforme devenue urgente.

Mis en place en 1975 avec la loi Haby, le collège unique avait pour objectif de favoriser l’égalité entre les élèves. Mais dans la pratique, il s’est révélé un formidable accélérateur de l’échec scolaire.

Pire, le collège est un lieu de mal-être et de souffrance pour beaucoup d’adolescents, à un moment charnière de leur construction personnelle.

Le tableau dressé dans cette article est sombre, mais repose sur une réalité vécue et partagée par beaucoup d’enfants, de parents et d’enseignants.

Certes, les situations varient d’un collège à l’autre. On remarquera que plus le collège est de taille importante, plus les dysfonctionnements sont criants.

Voyons en quoi le système collège est devenu une aberration, et de quelle manière il pourrait être réformé pour en faire une institution digne d’un pays comme la France.

Le collège aujourd’hui : autopsie d’un échec.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le collège tel qu’il fonctionne aujourd’hui n’est pas un lieu tourné vers les adolescents.

C’est avant tout un lieu administratif, au service de l’autorité hiérarchique. L’administration est au centre, omniprésente. La priorité est de composer des classes, des emplois du temps, d’attribuer des salles, de « faire tourner » l’établissement.

Le résultat est ubuesque :

  • les emplois du temps sont incohérents, avec des « trous » et des matières qui s’enchaînent sans logique. Quelle cohérence y a-t-il dans une journée qui commence par 2 heures d’éducation physique, qui se poursuit par une heure de musique, d’histoire, de sciences, de français, et qui se termine par un cours de mathématiques ?
  • les adolescents sont en déménagement permanent, puisque c’est eux qui chaque fois changent de salle et non les professeurs,
  • les cartables sont lourds, car il faut porter toutes ses affaires en continu. Un enfant de sixième porte régulièrement 10 kg sur son dos : beaucoup trop pour sa corpulence. Le problème est évoqué depuis des décennies sans qu’aucune solution efficace n’ait été trouvée.

Ballottés d’une salle à l’autre, passant d’une matière à une autre, d’un enseignant à un autre, lourdement chargés, les élèves perçoivent le collège comme un bagne, une épreuve qu’ils n’ont d’autre choix que d’endurer.

Malheureusement, beaucoup d’adultes estiment encore que cela est normal : eux-aussi sont passés par là. Il faut bien que les enfants apprennent la vie et qu’ils s’endurcissent. Pourtant, ces adultes ne manqueraient pas de se rebeller si on leur faisait subir le même traitement par exemple pour une reconversion professionnelle.

A cela s’ajoutent les devoirs. Car même après le collège, le travail n’est pas terminé : il faut réviser ses leçons et faire les exercices, comme si les longues heures passées dans l’établissement n’avaient pas été suffisantes pour intégrer les apprentissages.

Les journées commencent à 8h00, ce qui implique pour certains élèves de se lever à 6h30, ce qui est en totale contradiction avec le rythme biologique des adolescents. La fatigue s’installe et devient omniprésente au bout de quelques semaines. Les journées peuvent comporter jusqu’à 7 heures de cours : le collège se transforme alors en un véritable calvaire pour beaucoup d’élèves.

L’enseignement, le programme et les notes.

En quoi consiste l’enseignement au collège ? A absorber un programme, à acquérir une somme de savoirs qu’il faudra régurgiter. L’élève est noté sur cette base : il est seul responsable de ses résultats.

L’élève qui obtient de mauvaises notes ne pourra s’en prendre qu’à lui-même : il n’a pas écouté en cours, il n’a pas révisé sa leçon, il n’a pas fait ses exercices, il ne s’est pas suffisamment avancé, il n’a pas fait assez d’efforts. Le collège, lui, n’y est pour rien.

Voilà comment le système pousse à considérer que la responsabilité des mauvais résultats incombe aux enfants et aux familles : c’est sans doute la preuve la plus consternante de l’échec du système collège.

La France est certes dans la moyenne de l’OCDE en matière de niveau scolaire (données Pisa) mais elle est championne des inégalités. Le collège est un accélérateur des différences : les élèves de « bonne famille » sont suivis et soutenus en dehors de l’établissement, alors que les plus faibles sont laissés au bord du chemin. Parmi ces derniers, certains sont stigmatisés comme « je-m’en-foutistes » ou « perturbateurs ».

L’Education nationale donne pour consigne de surnoter les élèves les plus faibles : ce nivellement qui ne résout rien relève de la tromperie, et prouve là encore le naufrage du système.

Car le collège n’accompagne pas les élèves. Il n’y a pas de professeur référent à proprement parler : le professeur principal a rarement le temps de suivre les élèves un par un, surtout s’il est l’enseignant d’une matière « secondaire ». Il n’y a pas d’accompagnateur, pas de guide, personne à qui se confier ou demander de l’aide, sauf exception. L’élève est jugé par tout le monde en général et aidé par personne en particulier.

L’élève est laissé seul face à la froideur de l’institution et face à lui-même. S’il entre dans le moule et trouve en lui suffisamment de ressources, il peut réussir à traverser l’épreuve. Dans le cas contraire, il échouera, puisque inadapté, réticent, turbulent, bref, « problématique ».

Cette machine à broyer est perverse puisqu’elle fait croire à l’élève que tout fonctionne correctement, et donc que c’est lui qui pose problème. Un désastre pour la construction de la personnalité et l’image de soi.

Le collège : un lieu de mal-être pour les adolescents.

On l’a compris, l’épanouissement des élèves est loin d’être au coeur du système. Les conséquences sur les enfants sont catastrophiques.

L’adolescence est une période de fragilité et d’instabilité. Au collège, cela se transforme souvent en mal-être, en violence ou en dépression.

La cour de récréation devient le déversoir de toutes les frustrations accumulées durant les cours : les bons élèves sont stigmatisés, les faibles sont harcelés, les fortes têtes montrent qu’elles existent.

La récréation est une zone de non-droit où tous les coups, toutes les insultes sont permises, loin des oreilles des surveillants. Lorsqu’un élève est pris, la seule réponse est l’humiliation et la sanction.

Le fait est que l’élève est dévalorisé par l’institution. Il développe une mauvaise image de lui-même qui peut le conduire à des comportements à risques.

La situation psychologique des collégiens est très inquiétante. Selon les chiffres de l’Association de la Fondation Etudiante pour la Ville (AFEV) :

  • 44% d’entre eux ont déjà eu mal au ventre à l’idée d’aller au collège,
  • 66% déclarent ne pas ou peu aimer aller au collège,
  • 53% déclarent s’ennuyer en cours,
  • 41% ne prennent pas la parole en cours de peur de se tromper,
  • 64% déclarent ne pas toujours comprendre ce qu’on attend d’eux,
  • 42% ne se rendent pas ou très peu au CDI,
  • 52% déclarent avoir été victimes de problèmes dans la cour.

Le collège est avant tout un lieu de stress. Le stress commence dès le CM2 lorsque l’échéance de l’entrée en sixième se rapproche. Un stress justifié, puisque la plupart des nouveaux collégiens mettront des mois à se repérer dans l’établissement et à s’adapter au grand déménagement permanent. Leur hantise : oublier son manteau dans une salle de classe, se perdre dans les couloirs, ne plus retrouver son cartable, faire tomber son plateau à la cantine.

Le quotidien du collégien est par définition angoissant. Les maux de ventre apparaissent souvent dès le dimanche soir : il faut anticiper les cours du lendemain, vérifier qu’on est à jour de ses devoirs, se souvenir des attentes des professeurs, et préparer son cartable en essayant de ne rien oublier, sous peine de sanction.

Durant la journée de collège, le stress est présent à tout moment : en cours, à l’interclasse (embouteillages dans les couloirs, chahut), en récréation, à la cantine (attente, bousculades…), et au retour de l’école.

Le stress est encore plus important pour certains élèves « différents », par exemple ceux qui connaissent un trouble « dys », des difficultés d’organisation ou des troubles de l’attention. Rien (ou si peu) n’est fait pour que leur quotidien soit adapté. Au contraire, le système fait ressortir leurs difficultés malgré les aménagements proposés.

La dépression s’installe chez de nombreux collégiens : d’abord un sentiment de tristesse, puis des problèmes émotionnels, un manque d’énergie, et enfin un découragement devant l’incapacité à comprendre et à répondre aux attentes des adultes.

Face à ce mal, les commentaires bienveillants sur le bulletin trimestriel  (« ne te décourage pas », « tu peux y arriver », « tu es capable de beaucoup mieux ») sont inutiles et sonnent creux.

Les conséquences sur les enseignants.

Les enseignants subissent eux-aussi le collège et ses lourdeurs.

Contrôlés, notés, leur liberté pédagogique est très encadrée. Elle est surtout inopérante dans le sens où les enseignants n’ont pas les moyens de leurs objectifs. Leur enseignement est haché, cloisonné, placé à des horaires inadaptés, répétitif et soumis aux impératifs du programme.

Les cours se font devant des élèves passifs ou qui ont tendance à chahuter, l’ambiance pouvant rapidement devenir insupportable.

Les enseignants n’ont en réalité aucun moyen d’assurer la réussite de tous leurs élèves, ce qui s’avère particulièrement démotivant. Renforcée par des salaires faibles, cette démotivation peut évoluer vers une déresponsabilisation, et dans certains cas, à un rejet des causes de l’échec sur les enfants eux-mêmes, sur leur famille ou encore sur les professeurs du primaire qui n’auraient pas bien fait leur travail.

Rappelons que l’absentéisme des enseignants au collège est en moyenne de 16 jours par an, soit 9% des jours travaillés, un record qui traduit le haut niveau de souffrance des enseignants.

Quelques propositions pour un collège digne de ce nom.

Urgente et indispensable, la réforme du collège doit dépasser les clivages pour retrouver le chemin du bon sens.

Le collège doit être un lieu pensé pour les adolescents, tourné vers eux et adapté à leurs besoins. Les élèves doivent prendre du plaisir à apprendre ; ils doivent comprendre le sens de leur présence dans l’établissement, et l’importance qu’elle a pour la suite de leur vie.

Voici quelques propositions pour un collège qui ne soit plus un lieu de souffrance et de mal-être :

  • attribuer une salle dédiée à chaque classe afin que chaque élève ait son propre bureau et qu’il puisse accéder aux armoires de rangement. Seuls certains cours de technologie ou de sciences donneraient lieu à des changements de salle,
  • débuter les cours à 8h30 tous les jours et découper la matinée en deux cours d’1h30 chacun : langue (français, langue étrangère) puis sciences (mathématiques, sciences physiques ou naturelles),
  • prévoir une fin des cours fondamentaux à midi ou à 15h00, pour réserver l’après-midi à des activités de découverte (sport, art, musique, nature, lecture, technologie, travaux manuels, philosophie…) en favorisant l’autonomie, la liberté, la curiosité et la créativité,
  • offrir une plus grande liberté pédagogique aux enseignants, avec non pas un programme à suivre mais des objectifs à atteindre,
  • nommer un enseignant référant pour chaque classe, interlocuteur quotidien et privilégié des élèves, s’assurant du suivi de chacun d’entre eux, ayant le pouvoir de coordonner les enseignants et les enseignements,
  • développer l’esprit de groupe, la coopération, l’entraide, la démocratie et l’inclusion, plutôt que le conflit, l’humiliation et la compétition,
  • limiter à 22 le nombre d’élèves par classe,
  • amener les adolescents à penser par eux-mêmes, à développer leur autonomie et leur responsabilité ; favoriser dialogues et débats entre élèves et avec les professeurs,
  • préférer la pédagogie et la bienveillance aux sanctions,
  • individualiser autant que possible l’enseignement en fonction des particularités ou problématiques de chaque élève ; adapter le système de notation en fonction des objectifs de chacun, en privilégiant l’auto-notation, sauf pour les matières fondamentales qui nécessitent des compétences minimales.

Il ne s’agit pas de créer un collège ou l’adolescent fait ce qu’il veut, sans contrainte. Il s’agit au contraire de responsabiliser les élèves en les préparant à l’âge adulte.

Débarrassé du stress de l’échec et de la souffrance, le collège de demain sera un lieu où chacun sait pourquoi il est là. Il devra être plus humain, tout simplement.

Modif. le 26 juillet 2021

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