Avons-nous le choix ? Notre vie est-elle guidée par nos choix ? A-t-on vraiment le choix face à une situation donnée ? Approche philosophique, éthique et spirituelle.
Au quotidien, il nous semble que notre vie est faite de choix : nous sommes maîtres de nos choix personnels, familiaux, professionnels, politiques…
Certes, nous sommes soumis à des contraintes, mais nous pouvons décider de faire un enfant, de changer de travail ou de nous engager pour une cause. Nous choisissons le bulletin de vote que nous glissons dans l’urne, nous choisissons notre mode de vie et le lieu de nos prochaines vacances. Nous décidons de prendre la voiture ou le vélo pour aller travailler, de lire tel ou tel livre, d’exprimer nos idées, de divorcer, de trier nos déchets, d’offrir des fleurs, etc.
Pourtant, cette impression d’être libre et de décider par soi-même n’est peut-être qu’une illusion. En effet, si l’on analyse les différents critères de choix, on s’aperçoit que ceux-ci sont très nombreux et loin d’être toujours maîtrisables.
Par exemple, nous sommes libres de partir travailler à vélo plutôt qu’en voiture, mais l’analyse montre que ce choix est soumis à un grand nombre de contraintes, de limites et de déterminismes, parmi lesquels :
- le fait de savoir faire du vélo,
- le fait d’aimer faire du vélo,
- le fait de pouvoir faire du vélo en fonction de son poids, de ses capacités physiques, de ses éventuelles douleurs ou maladies,
- le fait de disposer d’un vélo,
- le fait de disposer d’un emplacement pour ranger son vélo,
- le relief et la distance à parcourir,
- la possibilité financière d’acheter un vélo électrique,
- le temps et la saison,
- la peur d’avoir un accident,
- le poids des habitudes,
- l’avis du conjoint et des amis,
- les modes et les tendances du moment,
- le fait d’être sensibilisé à la protection de l’environnement, ou le fait d’être engagé dans la lutte contre le changement climatique,
- le regard des autres (crainte, honte, fierté…),
- le fait d’avoir des choses lourdes à transporter ou non,
- le fait d’avoir des courses ou des détours à faire ou non,
- le fait de rechercher des économies ou non,
- etc.
Bref, cela fait beaucoup de paramètres… Ainsi, l’intention de départ se trouve bien souvent limitée par la réalité. Un grand nombre de paramètres entrent en ligne de compte, le « poids » de chacun étant plus ou moins important, comme dans un algorithme. Au final, la balance finira par pencher d’un côté plutôt que de l’autre.
Voyons plus en détails si nous avons vraiment le « choix ».
Avons-nous le choix ?
Soumis à leur instinct, les animaux n’ont pas le choix : face à une situation donnée, ils choisiront le chemin le plus court, la solution la plus efficace ou la moins risquée, ceci en fonction de leurs capacités cognitives, de leur expérience et de leur programmation génétique.
Qu’en est-il pour les êtres humains ? Comme pour les animaux, nos choix sont dictés par nos intérêts, nos capacités cognitives et notre expérience. Pourtant nous avons toujours l’impression d’avoir le choix.
Ceci est peut-être dû au fait qu’un autre paramètre entre en ligne de compte, en l’occurrence nos valeurs. Ainsi, tous nos choix intègrent ce paramètre supplémentaire, issu au fait que l’homme est un animal social, doté d’un certain niveau de conscience.
Concrètement, nos choix tiennent compte du regard et du jugement des autres, du regard sur soi-même (estime de soi), lesquels proviennent de l’éducation reçue, des us et coutumes, des lois, bref de ce qui est présenté comme étant bien ou mal, acceptable ou inacceptable.
Nous venons de montrer que nous sommes soumis, pour ce qui est de nos choix, à un déterminisme supplémentaire par rapport aux animaux. Les animaux agissent de façon spontanée ; à l’inverse, l’être humain doit réfléchir, penser ses choix, voire mettre en place des stratégies pour justifier ses choix, montrer sa capacité à respecter les règles sociales, tout en répondant à ses envies et ses instincts irrépressibles.
Sur le plan psychique, nos instincts pulsionnels (le ça de Freud) doivent composer avec notre morale et notre éducation reçue (le surmoi), c’est-à-dire notre loi intérieure. Cette rencontre donne naissance au moi, qui tente non pas de faire des choix libres, mais de trouver la solution la plus appropriée, la moins risquée, la moins douloureuse.
Avoir le choix : le fondement de la vie en société
Dans les sociétés humaines, le choix relève de l’éthique.
Toutes les sociétés humaines affirment la possibilité de choisir. Il s’agit du choix entre respecter la morale, la loi et les valeurs sociales (bon choix) ou ne pas les respecter (mauvais choix, donnant lieu à une sanction), les comportements exemplaires ou héroïques étant mis en avant.
Il ne pourrait pas en être autrement, car une société qui nierait la possibilité de choisir entre le bien et le mal ne serait plus une société. La morale, qu’elle soit républicaine, religieuse ou autre, fonde la cohésion et le vivre-ensemble : toute notre éducation est fondée sur ce principe, et à chaque instant, on nous demande de faire le bon choix, en l’occurrence se soumettre aux règles…
Pourtant, nous avons montré que le critère éthique n’est qu’un critère parmi d’autres. Dans certains cas, nos envies sont plus fortes que la morale. Parfois, nous interprétons ou travestissons les règles morales pour justifier nos comportements déviants ou égoïstes. Nous dissimulons nos intérêts derrière des arguments éthiques, jusqu’à la manipulation, pour soulager nos désirs et nos pulsions.
Bien sûr, la loi et la sanction ont toute leur importance, car elles limitent et découragent ce qui est « mal ». De même, l’éducation invite à se maîtriser, voire à se dépasser pour faire les « bons choix », utiles à l’intérêt général. Mais cela ne veut pas dire que nous ayons le choix.
L’exemple d’un acte héroïque
Durant la Seconde guerre mondiale, au péril de leur vie, des Justes ont caché et sauvé des enfants juifs, alors qu’au même moment, d’autres personnes dénonçaient des familles entières.
Ces Justes ont accompli un acte héroïque, et aujourd’hui encore, ils sont cités en exemple.
Pourtant, eux-mêmes ont toujours affirmé avoir accompli ces actes, non pas par choix, mais spontanément, dans une période où les règles morales et politiques étaient devenues floues.
Il se pourrait tout simplement que ces Justes aient accueilli ces enfants juifs parce que leur force de caractère et leur capacité à dépasser leurs propres peurs le leur permettaient, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Sur le plan génétique, il a été prouvé que les caractéristiques et la taille de l’amygdale cérébrale pouvaient expliquer une tendance plus ou moins grande à l’empathie : l’héroïsme dépendrait-il de notre ADN ?
Quoi qu’il en soit, le fait de cultiver le souvenir des Justes renforce le poids des critères éthiques dans l’esprit de chacun, ce qui pourra influencer dans le bon sens certains choix futurs.
Commémorer, c’est donc se donner collectivement la chance de faire les bons choix dans l’avenir.
Conclusion : avons-nous le choix ?
Nous avons montré que face à une situation donnée, il se pourrait bien que nous n’ayons pas le choix.
En réalité, notre programmation interne et notre système cognitif évaluent à chaque instant les différents paramètres aboutissant à une prise de décision optimale, en fonction des circonstances, de nos intérêts et de la pression sociale ressentie.
Autrement dit, nous faisons toujours le meilleur choix possible, en fonction de ce que nous sommes à l’instant T.
Cela signifie-t-il que la morale n’a plus lieu d’être ? Certainement pas, car la morale permet de vivre ensemble en influençant nos choix.
Mieux encore, la reconnaissance du fait que nous n’avons pas le choix ouvre une autre dimension morale : celle de la compréhension et de la tolérance. En réalisant que celui qui a mal agi ne l’a pas fait volontairement mais parce qu’il n’avait pas la possibilité de faire autrement, le jugement laisse la place à l’analyse, le rejet fait place à la compassion, la sanction violente laisse place à la réinsertion, l’éducation se renforce, la société progresse et l’harmonie s’impose.
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Modif. le 5 octobre 2024