L’allégorie de la caverne de Platon : interprétation, explication. En quoi ce mythe éclaire-t-il la problématique de l’ignorance et de la connaissance ?
L’allégorie de la caverne de Platon (428 – 348 avant J-C) est un célèbre texte du Livre VII de La République, présenté sous la forme d’un dialogue entre Socrate et son élève Glaucon.
Des hommes vivent dans une caverne depuis toujours. Ils sont enchaînés de sorte qu’ils ne peuvent tourner la tête et qu’ils ne voient que la paroi en face d’eux, qui constitue le fond de la caverne. Sur la paroi se reflètent des ombres projetées par des individus qui agitent des marionnettes (voir le schéma en tête de cet article). N’ayant jamais rien connu d’autre, les prisonniers perçoivent ces ombres comme la réalité. Un jour, un prisonnier est libéré de sa condition et accède à la lumière, non sans souffrance.
Les thèmes abordés dans l’allégorie de la caverne sont la culture, la Justice, la vertu, l’ignorance, les illusions et la connaissance.
Pour s’imprégner du récit, lire aussi :
Voici une interprétation de l’allégorie de la caverne de Platon.
L’allégorie de la caverne : interprétation.
Platon lui-même fait l’interprétation de l’allégorie de la caverne dans la première et surtout la deuxième partie du texte.
Qui sont les prisonniers ?
C’est à nous qu’ils sont pareils ! dit Platon. Les prisonniers représentent donc l’état de l’Homme dans la société.
Que voient les prisonniers ?
En nommant ce qu’ils voient ils penseraient nommer les réalités mêmes, dit Platon. Les prisonniers pensent donc voir la réalité, mais il s’agit en fait d’images illusoires. Ils sont dans l’incapacité de développer un jugement clair.
Qu’est-ce que cette prison ?
C’est la région qui se présente à nous par l’entremise de la vue, dit Platon. La prison est donc l’état de ceux qui prennent leurs perceptions pour la réalité. La caverne représente donc la condition humaine, non-libre, manipulable, soumise.
Que représentent les chaines des prisonniers ?
Les chaines peuvent représenter le déni, la soumission aux apparences, la force des illusions, ou encore la relation à ceux qui portent l’autorité et qui trompent le peuple.
Que représentent le feu et le soleil ?
Ils représentent la réalité au sens de vérité. Le soleil symbolise le Bien ; il est la source de la Science. Sa lumière permet en effet de faire le lien entre l’âme humaine et le monde des idéaux, par opposition au monde du sensible illusoire et changeant.
Quelle différence entre le monde du haut et le monde du bas ?
Le monde du bas est le monde du sensible : les prisonniers pensent accéder à la vérité par leurs sens. Le monde du haut est au contraire le monde lumineux de l’intelligible, qui permet à l’âme d’écarter les illusions et de raisonner sur la base de concepts stables.
Qui sont les marionnettistes ?
Ce peut être ceux qui profitent de l’ignorance du peuple pour faire croire ce qu’ils veulent. Ce peut être des sophistes ou des politiciens qui ont intérêt à ce que la vérité n’éclate pas. C’est peut-être tout simplement l’état de notre esprit qui n’a pas appris à raisonner.
Quel est celui qui libère le premier prisonnier ?
Son identité n’est pas précisée. C’est peut-être un philosophe éclairé et bienveillant. Une autre interprétation pourrait y voir l’intuition du prisonnier.
Que représente la montée du chemin vers la lumière ?
C’est la route de l’âme pour monter vers le lieu intelligible, dit Platon. Cette montée, c’est la « montée vers le Bien », la source de la lumière étant « la cause universelle de toute rectitude et de toute beauté » ; elle est « dispensatrice de vérité et d’intelligence ». C’est donc la voie de la sagesse, le chemin de la Justice.
Cette montée de l’âme de l’obscurité vers la lumière, du perceptif vers l’intelligible, de la sensation vers le raisonnement, que Platon appelle de ces vœux, est d’abord douloureuse, avant que la vérité apparaisse au sujet comme une évidence salvatrice.
Pour Platon, l’âme humaine est faite pour séjourner dans la lumière, et c’est dans l’intérêt de chacun et de tous d’y accéder.
Le passage de l’obscurité à la lumière, et de la lumière à l’obscurité.
Dans sa propre interprétation de l’allégorie de la caverne (deuxième partie du texte), Platon pointe la difficulté de passer de l’obscurité à la lumière : le soleil peut avoir un effet aveuglant. Les habitudes de pensée peuvent en effet procurer un confort illusoire. Il est difficile de changer sa manière de voir le monde.
Mais il pointe aussi la difficulté inverse qui consiste, pour un individu éveillé, à repasser à l’obscurité, c’est-à-dire de se mettre à la portée de ceux qui sont restés dans l’ignorance. C’est le rôle du philosophe qui doit se pencher sur la condition des ignorants.
D’autre part, le passage de l’ignorance à la connaissance ne se fait pas par la simple acquisition de savoirs transmissibles. Chaque âme possède en elle-même la puissance nécessaire pour parvenir à la connaissance. Il ne s’agit donc pas d’une acquisition mais d’une « conversion ».
Pour Platon, le Bien consiste à être en mesure de soutenir la contemplation du réel et du lumineux. Il s’agit donc de briser les chaines qui obligent à regarder dans une direction fausse, puis de tourner la tête en direction de la lumière.
Tout individu est capable d’intelligence. Encore faut-il qu’il détourne ses capacités du mal (la méchanceté, la facilité, l’habitude) pour les tourner vers le Bien.
Lire notre article sur la différence entre savoir et connaissance.
La dimension politique de l’allégorie : l’éducation et le rôle des gouvernants.
Platon constate que les être éveillés ne s’engagent généralement pas en politique.
Il souhaite contraindre les dirigeants à voir le Bien et à agir au nom du Bien, afin d’éviter les dérives bien connues. Les dirigeants devront suivre une formation philosophique et faire l’effort de redescendre dans la caverne afin de comprendre leurs concitoyens et d’œuvrer à l’harmonie entre tous.
Les dirigeants de l’Etat doivent donc se comporter en « philosophes », et non en marionnettistes. Ils doivent regarder, avec le peuple, les images obscures sur les parois. Cette contemplation permettra de comprendre la cause des illusions qui dominent les individus.
Platon appelle à ce que ce soient ceux qui ont le moins de goût pour exercer le pouvoir qui l’exercent : leur désintérêt conduira au bonheur de tous.
L’éducation du peuple.
Platon appelle aussi à éduquer le peuple. Les dirigeants et les philosophes doivent descendre dans la caverne pour éclairer les esprits et les sortir de la doxa (l’opinion). Ils risquent alors d’être déboussolés, raillés et rejetés. Les philosophes devront trouver les moyens d’amener le commun des mortels à adhérer au monde des idées, qui est aussi le monde du bonheur.
Une allégorie de la télévision ?
Les images projetées sur les murs peuvent faire penser au pouvoir de la télévision ou des écrans dans nos sociétés contemporaines. Les téléspectateurs sont hypnotisés par les images, reflets illusoires de la réalité. Le monde nous apparaît comme un théâtre agité. Tout est fait pour nous détourner de ce qui a une vraie valeur.
Deux sortes de réalités : l’idéalisme de Platon.
Pour Platon, la réalité peut prendre deux formes : le monde sensible, source d’erreur et d’illusion, ou le monde intelligible, c’est-à-dire celui de la raison, lieu des idées vraies. Il s’agit d’un dualisme.
Le monde sensible ne peut décrire que des formes imparfaites, irrégulières, changeantes et subjectives (car vues à partir de notre point de vue limité). Seul le monde des idées et le raisonnement logique peuvent permettre d’atteindre la vérité.
Platon est un idéaliste dans le sens où il fait primer le monde intelligible (les idées parfaites) sur le monde sensible (le monde matériel). Pour lui, les idées seraient plus réelles que la matière. Les idées sont durables, pas les choses matérielles. Les idées permettent d’accéder à des valeurs universelles et parfaites : le beau, le bien, le vrai, la justice.
Il faut donc chercher derrière les apparences ce qui est éternellement Vrai.
Pourtant, l’idéalisme de Platon est critiquable : il a tendance à créer un monde parallèle fondé sur des concepts abstraits, déconnectés de l’expérience de la vie, déconnectés de la vie elle-même.
Lire notre article sur l’idéalisme.
L’allégorie de la caverne : une réflexion sur l’ignorance.
En pointant l’emprise des idées reçues et la difficulté de changer ses habitudes mentales, Platon éclaire la notion d’ignorance.
L’ignorance n’est pas simplement le fait d’ignorer, c’est le fait d’ignorer qu’on ignore. L’ignorance est une force qui pousse à rester au fond de la caverne. Le déni est omniprésent. L’élévation vers la lumière est une souffrance.
La connaissance consiste à s’éloigner des perceptions pour s’attacher aux idées raisonnables : cela nécessite méthode, exercice et habitude…
Lire aussi notre article sur l’ignorance.
Ouvrage à acquérir :
- La République, de Platon.
Modif. le 6 novembre 2020